Batman v Superman : why so serious ? *
On 3 juillet 2016 by rachidouadahLe droit à une seconde chance, c’est ce que réclame le director’s cut d’un poids lourd mal accueilli par la presse et le public. Sortie prochainement.
Ils se sont donnés du mal les scénaristes et le réalisateur de Batman v Superman. Jugez-vous même du cahier des charges : relayer Christopher Nolan, faire une suite à Man of Steel, adapter deux bandes-dessinées récentes en un seul film, préparer le terrain pour les prochains films et personnages, satisfaire les fans de base, et, en premier lieu, raconter une histoire cohérente. Pour accomplir ces douze travaux d’Hercule, les bras musclés de Zack Snyder se trouvent être les mieux taillés. Mais deux heures et demi au cinéma ne lui ont pas suffit. Le director’s cut des Watchmen du même réalisateur était décevant, d’une violence pornographique, celui-ci est satisfaisant. Toutefois, quelques regrets.
Nous aurions bien ajouté un quart d’heure de Lex Luthor, précisément de Jesse Eseinberg. D’abord, l’acteur excelle. On pourrait lui faire dire n’importe quoi, ça ne changerait rien à sa prestation. D’ailleurs, il dit n’importe quoi. Ce fils unique, enfant martyrisé par son père, orphelin, multimillionnaire, est un autiste. Il parle sans vraiment entendre les autres. Eisenberg prolonge de manière inquiétante son personnage de Zuckerberg qui dans The Social Network parlait déjà par staccatos(i). C’est aussi le double négatif de Bruce Wayne qui en tient lui aussi une couche en négativité sous son masque de Batman vieilli (à moins que Wayne soit le masque de Batman comme cela est souvent suggéré depuis 30 ans). En ce sens, Lex Luthor est le Joker de ce film. Et comme dans le Dark Knight de Nolan, celui-ci échafaude un plan machiavélique et huilé pour détruire ce qu’il reste de « bon dans ce monde ». Enfin un antagoniste digne de ce nom ! Parce que l’un des scénaristes est aussi celui de The Dark Knight (David S. Goyer, et de Ghostrider 2 hélas), l’histoire penche vers le côté obscur de ses héros, et de son anti-héros perdu entre un Woody Allen et un Fincher. Ce blockbuster lui est entièrement consacré. Comme disent les geeks, L’Aube de la Justice est une origins story (histoire d’origines), celle du super-vilain Lex Luthor.
Si nous écrivons « Justice » avec un « j » majuscule ce n’est pas pour affirmer notre foi en ce concept sur-humain. Non, l’aube dans le titre annonce la Ligue de Justice, une formation de super-héros et une flopée de longs-métrages à venir. Batman v Superman nous en donne un aperçu en immisçant, au forceps, dans sa narration les personnages de Flash (l’homme le plus rapide du monde, les filles), Aquaman (joué par l’océanien de service Jason Momoa), Cyborg (Ray Fisher, future caution black de service comme les trois super-héros noirs de Marvel). Et Wonder Woman (Gal Gadot, Miss Israël de service jouant une méta-humaine venant d’un endroit où les femmes vivent entre elles – Tel-Aviv ?), réduite à un objet sexuel sexy en toutes circonstances en attendant d’habiller son personnage dans le film qui lui est consacré en 2017 (avec Saïd Taghmaoui, en mode arabe de service d’Hollywood depuis dix ans). Ici, nous voyons combien D.C. Comics marche sur les traces de Marvel, du moins au cinéma. Cette Ligue de Justice est la réponse industrielle aux Avengers, une autre bande de justiciers menés par des mâles caucasiens hyper-métabolisés (comme Superman et Captain America) ou géniaux multimillionnaires-playboys-philanthropes (comme Bruce Wayne et Tony Stark). Autre ressemblance : tandis que le héros des X-Men (Marvel) devient chauve dans le dernier Apocalypse en étant sacralisé/caractérisé comme Professeur X, Lex Luthor est rasé à la fin de L’Aube de la Justice devenant alors le vilain « mythique » de la bande-dessinée – après avoir lâché sur ses ennemis une bête appelée « fin du monde » (ou Doomsday).
On aurait justement bien enlevé un quart d’heure à ce long montage. Les passages avec cette créature en images de synthèse censée incarner le climax. Cette chose n’a aucune réalité tant elle est numérique. Elle vient « d’un autre monde » s’acharnent à répéter les héros. On avait bien vu. Aucune consistance, aucune poésie, surtout quand elle se prend pour le King Kong de 1933. C’est bien dommage de réduire deux heures et demi d’intrigue politico-judiciaire, psychologique et science-fictionnesque à une « bagarre à coups de poings » comme disait le Joker dans The Dark Knight. De plus, une fois l’artillerie lourde du destruction porn sortie (la destruction à des niveaux pornographiques), que peut-on imaginer de plus par la suite ? C’est notre habitude de défendre les auteurs sincères et les petites productions indépendantes. Zack Snyder et sa limousine gothique n’échappent pas à la règle. Tout en conservant son propre style (on pourrait parler d’âme quand il prouvera qu’il en a une au-delà de son graphisme) il pousse dans ses retranchements le concept de super-héros, précédé en cela par Frank Miller et Alan Moore, indéniablement. Il va jusqu’à tutoyer la notion de Dieu, et pour ce crime nietszcho-prométhéen (ça va, on peut se la raconter deux secondes) – et quelques petits faux pas – les fans ne lui ont pas pardonné, pas pas du tout pas. Et quand les fans n’aiment pas, c’est bon signe. Tous les autres peuvent se contenter de la bande-annonce.
* « Pourquoi tant de sérieux ? » : slogan attribué au Joker pour The Dark Knight (2007, Nolan).
Batman v Superman : l’Aube de la Justice. Réalisation : Zack Snyder. Scénario : Chris Terrio, David S. Goyer. Interprétation : Ben Affleck, Henry Cavill, Jesse Eseinberg, Amy Adams. Photographie : Larry Fong . Musique : Hans Zimmer, Junkie XL. Etats-Unis, 2016. Sortie française : 23 mars 2016+.
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