Les fans américains ont détesté le nouveau Ghostbusters. C’est parce qu’il est l’antidote au Star Wars de J.J. Abrams, et à son propre original.
Une scène rigolote résume très bien ce qui est arrivé au film de Paul Feig avant même sa sortie aux Etats-Unis : l’actrice Leslie Jones dans son personnage se jette dans la foule d’un concert et n’est rattrapée par personne. Elle s’exclame : « c’est parce que je suis une femme ou parce que je suis noire ?! ». On fait défiler quelques critiques sur IMDB, elles sont toutes sans appel, Ghostbusters version 2016 serait un navet dont chaque gag « tombe à côté de la plaque ». Le réalisateur aurait même reçu des menaces de mort pendant la production.
En fait, cette campagne de haine pathologiquement misogyne et raciste est quasiment une habitude de la part du lobby des fans. Ils nous avaient fait presque la même lors de l’annonce de Ben Affleck dans le rôle de Batman en 2014. La source de cette rancœur ne vient pas tant de vouloir rebooter le Ghostbusters de 1984. Ce serait plutôt à cause du fait que parce que les chasseurs de fantômes de 2016 sont des chasseuses. Or, c’est la meilleure idée qui pouvait sortir de ces dernières années de disette créative. Ce quatuor de nanas, de meufs des années 80 copiées sur les personnages originaux, communique un entrain communicatif. Dans sa première partie, le film joue de la complicité avec le public. Tandis que le scénario et les personnages s’acharnent à ne pas devenir Ghostbusters, le spectateur devrait jubiler de voir comment ils s’élancent vers leur destin et une suite inévitables. Le film connaît un creux quand il lâche la comédie pour l’action, et le gag pour les effets numériques, mais qu’importe.
Des femmes drôles, intelligentes, et fortes (badass) mais pas sexy, c’est trop pour la machosphère geek. Il n’y a pas de place pour le cliché de la demoiselle en détresse dans ce Ghostbusters (réalisé par un homme habitué à travailler avec des femmes, et co-écrit par une femme). Au contraire, Chris Hemsworth (le Thor de Marvel) joue un parfait idiot. Est-ce cette double émasculation symbolique qui vaut au film tant de haine ? Parce que les critiques avancées (lourdeurs des gags, stéréotype raciste, politiquement-correctitude, faiblesse de l’intrigue, plagiat) peuvent être appliquées aux deux premiers Ghostbusters d’Ivan Reitman.
Des modèles toxiques
La version de 1984 met les pieds dans le plat en projetant tout de suite ses personnages dans leur rôle de chasseurs de fantômes là où le film de 2016 prend le temps d’expliquer les tenants et les aboutissants. Le film de Reitman, comme l’ensemble de sa filmographie, est plein de sous-entendus salaces : cunnilingus, fellation, masturbation, etc. Le personnage de Bill Murray est un obsédé sexuel qui joue de sa position sociale pour dominer ses proies qu’il choisit jeunes ou en détresse. Sigourney Weaver passe de femme indépendante à catin du diable lascive et offerte, puis à mère célibataire – en détresse. On peut dire que ces deux personnages ont été des modèles très toxiques pour l’éducation sentimentale et sexuelle des gamins de l’époque qui sont peut-être les frustrés, les cyber-harceleurs d’aujourd’hui. Ghostbusters 2 se contente de reprendre la trame du premier exactement comme J.J. Abrams a décalqué son Star Wars sur l’original. (Ci-dessous, Honest Trailers Ghostbusters 1984).
Que reste-t-il du Ghostbusters d’Ivan Reitman ? La complicité des trois comédiens, le quatrième n’était que la cinquième roue (noire) du carrosse (Ernie Hudson, remplaçant au pied levé Eddie Murphy). ll ne passe aucun test moderne, qu’il soit de Bechdel ou de motionXmedia. En réalité, avec un regard d’adulte, il ne reste pas grand chose de ces deux films, juste un vague souvenir d’enfance ou d’adolescence. Un fantôme. Ce que font Leslie Jones, Kristen Wiig, Melissa McCarthy, Kate McKinnon, sorties comme leurs prédécesseurs masculins du creuset télévisuel du Saturday Night Live Show, c’est chasser et attraper ce fantôme de geeks, ce monstre fait de cadavres venus du passé : le bibendum nostalgie. Sur le chemin, elles ont pulvérisé ce qu’on appelle le machisme résiduel protonique, un déchet radioactif issu des années 80. Alors oui, c’est une question de sexe.
Les intentions de la production ne sont pas claires : ce Ghostbusters n’est pas une suite, et pas tout à fait un remake. A proprement parler, on dirait bien un détournement créatif par l’équipe de Paul Feig. La campagne de dénigrement ayant commencé dès l’annonce de sa production, le scénario alors en écriture, et livré aux improvisations des comédiens, y fait plusieurs fois référence. Sous leur première vidéo d’un fantôme postée sur Youtube (dans le film…) un internaute écrit : « z’avez pas le droit de chasser les fantômes, les putes ! ». En quelque sorte, Ghostbusters est un film « méta » : il parle aussi de lui-même. Et au lieu de se positionner comme victimes, les Ghostbusteuses rendent les coups. Dans un des nombreux gags d’après-générique, la groucho-marx-sister du groupe, l’impayable Kate McKinnon, présente une invention sophistiquée : le « briseur de noix ». Pour briser des noix, pas des noix de fantômes, juste des noix. Ne vous fiez pas à la bande-annonce.
Ghostbusters. Réalisation : Paul Feig. Scénario : Paul Feig et Katie Dippold d’après les personnages crées par Dan Akroyd et Harold Ramis. Interprétation : Leslie Jones, Kristen Wiig, Melissa McCarthy, Kate McKinnon. Photographie : Robert D. Yeoman. Musique : Theodore Shapiro. Etats-Unis 2016. Sortie française le 10 août 2016.
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