Et masculiniste, hétéronormé et spéciste. Si vous n’avez pas peur d’apprendre des nouveaux mots, la lecture de la revue Le cinéma est politique est recommandée.
Que Steve Jobs nous foudroie si nous avons tort, mais rares sont les sites web sur le cinéma capables d’articuler une pensée et de l’argumenter, et surtout d’aller au-delà de la cinéphilie. Le cinéma est politique est une revue dont le but est de déconstruire les représentations que nous donne à voir quand il nous les impose pas, le cinéma populaire (essentiellement français et anglo-saxon dans le cas présent). Par cinéma populaire, on entend les succès qui caressent le spectateur et la société dans le sens du système pileux masculin. C’est ce cinéma là, celui du plus grand nombre, qui a le plus d’influence sur le public, sur nous-mêmes et sur nos pères, nos mères, frères, sœurs, fils, filles et compagnes (dans le désordre). Et plus généralement sur nos concitoyens. C’est de cela dont il est question dans ces pages passionnantes, de la place que nous occupons chacun dans la société. Une place fortement conditionnée par le genre, l’orientation sexuelle, l’origine sociale, la nuance de notre couleur de peau, et l’espèce animale à laquelle nous appartenons. Or, les messages même pas subliminaux que nous envoie ce cinéma pop-corn habituellement snobé par les gens de culture ne sont pas réjouissants malgré les happy end dont il est pavé. Car la thèse principale brillamment défendue par les auteurs au fil des articles est que les femmes tiennent souvent, toujours même, un rôle accessoire à l’écran, les devançant ou étant plus ou moins à égalité avec les Noirs, les homos, les moches, les obèses, et certains animaux (dans le désordre). Le cinéma populaire serait donc plus rétrograde que la société réelle. Ou alors nous vivons dans une illusion de société dont les barreaux nous sont invisibles, à l’instar de celle qu’expérimentent les protagonistes de Matrix, le hit de l’année 99.
Les auteurs de Le cinéma est politique sont très loin d’être des « haters », cette catégorie d’internautes qui passe son temps à dénigrer toute production culturelle à succès. On reconnait en eux des geeks, des universitaires, et des essayistes et parfois les trois en même temps parce que ce n’est pas incompatible. Ce sont tout simplement des gens qui réfléchissent, équipés de quelques outils conceptuels nécessaires pour démonter les mécaniques en oeuvre dans ces oeuvres. Ils nous parlent ainsi de Gravity, Intouchables, Battlestar Galactica, de Moi, moche et méchant 2, Skyfall, Paranorman, Rebelle, Millenium, La Chasse mais aussi d’Obelix et Astérix, Landes, 8 femmes, Le bonheur est dans le pré, etc. Sur Neuilly sa mère! de Djamel Bensalah, alors que le film se veut une ode (n’exagérons rien, ce serait plutôt un sifflotement) au vivre-ensemble, il nous est démontré par A+B que son véritable propos est foncièrement anti-social et raciste (nous y voyons personnellement une fascination morbide et post-coloniale du petit homme arabe pour la grande femme blanche, blonde et française-caucasienne, caractéristique du réalisateur depuis Le ciel les oiseaux et ta mère). La trilogie Batman de Nolan, si ce n’est toute sa filmographie, est marquée par l’absence de femmes, ou la présence de femmes passives, très « demoiselles en détresse », et beaucoup de xénophobie (tous les mafieux de The Dark Knight sont italo-machin ou serbo-truc). Sans parler de la manière dont il déprécie toute forme de révolte qui ne serait pas celle de son héros, ce justicier solitaire et richissime au service d’un système financier qui serait fondamentalement honnête et légitime et dont il faut à tout prix protéger les institutions bancaires. L’adaptation du Maître de l’air de M. Night Shyalaman ? Des personnages « whitewashés » et « raceblendés » de sorte que le méchant est plutôt basané, et les gentils plutôt clairs de peau, soit exactement l’inverse du dessin animé dont il s’inspire. Taken, film d’action franco-américain avec Liam Neeson, ne raconte pas seulement comment un ex-agent secret va récupérer sa fille aux mains d’une mafia d’Europe de l’Est, c’est aussi un avertissement lancé aux jeunes femmes : restez sagement à la maison, restez vierges jusqu’au mariage, et écoutez papa, parce que papa sait ce qui est bon pour vous, et parce que maman est une conne. Quant aux affiches des plus gros succès de 2012, à part Hunger Games, la plupart chante (ne minimisons rien, elles célèbrent) la domination de l’homme blanc sur tout ce qui vit et consomme sur cette planète. Le raisonnement qui aboutit à ces conclusions est accessible à n’importe quelle personne acceptant et ayant le temps de faire fonctionner son cerveau. On regrette l’absence d’une critique au scalpel de La vérité si je mens, dont l’antisémitisme et la misogynie évidents sont évoqués juste assez pour ne pas donner au lecteur nausée et mains sales.
Le cinéma populaire nous renvoie une image de la société comme un parfait reflet, ou comme une injonction à se conformer à cette image qui n’est pas tout à fait la sienne. L’influence du cinéma de divertissement sur les masses et les individus n’est plus à prouver. Hélas, ce que montrent ou nous demandent ces films c’est la perpétuation d’un modèle de société qui aux quatre coins du globe s’essouffle pourtant. On connaît les slogans de ce monde qui meurt mais ne se rend pas : « un papa une maman« , « travailler plus pour gagner plus« , « notre père qui êtes aux cieux« , « 3 fois sans frais« , ou « touche pas à ma pute ». Le cinéma est politique se revendique ouvertement des mouvements féministes et LGBT (Lesbiennes Gay Bi et Trans), et aussi de l’anti-capitalisme. L’ennemi, les ennemis, ce sont le patriarcat, le masculinisme, l’hétéronormalisation, l’aphrodisme, l’hypersexualisation, le racisme, le consumérisme, et aussi le spécisme. Trop de « nouveaux » concepts ? Pas assez : ceux-là suffisent à peine à mettre des mots sur le sentiment d’insatisfaction, et le ou les malaises que laissent (ou pas, justement) certains films au sortir d’une salle ou d’un streaming. L’aphrodisme, entre autres, c’est « le système de domination consistant à valoriser dans une société donnée les individus correspondant aux normes de beauté physique de cette société, tout en dévalorisant ceux/celles qui n’y correspondent pas« . Ce qui fait que les belles personnes sont les héro-ïne-s, les moins beaux-elles font les personnages secondaires et risibles, et les laid-es écopent des personnages maléfiques. Le masculinisme, c’est ce mouvement idéologique qui se plaint de la détresse de l’homme moderne face à la place grandissante qu’occupe la femme dans la société depuis les années 60. Les productions Disney synthétisent tous les reproches parce qu’elles ont cette fâcheuse habitude de représenter les antagonistes en êtres efféminés, avec un visage et des doigts allongés, comme Scar (Le Roi Lion) ou Jaffar (Aladin). Dans ces dessins animés dont nous abreuvons nos enfants, le mal c’est donc aussi l’homo, le pédé, ou apparenté, qui menace l’ordre hétérosexuel établi (un homme/une femme, un lion/une lionne –> un papa/une maman).
Un film n’est pas un objet gentil
La plupart du temps, par la faute de schémas narratifs industriels, parce que il est fait en majorité par des hommes, le cinéma s’arrange bien de ces systèmes de domination. Et plus rarement il ouvre des brèches. Cette grille de lecture, une fois qu’on l’a assimilée, on ne peut s’empêcher de l’appliquer à toute image qu’on voit par la suite, et à tout récit qu’il soit écrit ou filmé. Un peu comme si on venait de voir un reportage sur les coulisses de l’élevage et l’abattage bovin, ou comme si on était… comme le héros de The Matrix. Au début, on peut nier cette explication de la réalité, parce qu’elle est inacceptable de par son injustice et tout ce qu’elle implique de remises en question. Mais c’est trop tard pour revenir en arrière, il ne fallait pas prendre la pilule rouge, il ne fallait pas lire Le cinéma est politique. Qui a envie de retourner dans la matrice pour goûter à nouveau l’illusion d’un steak de synthèse ? D’ailleurs… il y a quelque chose de bizarre dans cette histoire où le héros est un homme nouveau meilleur que tous les autres (Neo, anagramme de One ou Elu), qui doit vaincre une entité féminine mauvaise (la Matrice) gouvernée par des entités masculines (Smith, l’Architecte), conseillé par une négresse magique (l’Oracle) pour former un couple hétérosexuel avec une femme qui lui est destinée (donc qui n’a d’autre choix que de tomber amoureuse de l’élu) et s’appelle Trinity (père, fils et saint-esprit, belle réunion de mâles)… C’est ainsi que la grille peut devenir un grillage, et dès lors les films ne peuvent plus être appréciés comme des divertissements inconséquents. Ca tombe bien, car pour contredire Luc Besson qui défendait ainsi son Grand Bleu devant une presse cannoise snob et méfiante, un film n’est pas un objet gentil. Et les films produits depuis par Besson via Europacorp transpirent de messages plus malodorants qu’un cadavre de dauphin échoué sur une plage. Aucun divertissement n’est innocent. Pour pas mal de catégories de la population et du public, le cinéma est offensant, insultant et discriminant. Et rares sont ceux qui s’élèvent contre cette manipulation parce qu’elle est impalpable, elle est même agréable. Cette propagande nauséabonde passe très bien dans l’esprit du spectateur car elle est enrobée d’une vaseline appelée « divertissement ». Divertir c’est détourner de ce qui est essentiel dans l’existence, ce pour quoi tout le monde s’enflamme sur les réseaux sociaux et dans les discussions entre amis ou au sein d’une même famille : la place que chacun d’entre nous occupe dans cette même existence. Et pourtant on adore voir cette « bonne grosse merde » qui nous fait notre soirée télé, une sortie afterwork ou le soulagement du samedi soir.
Les auteurs ont cette honnêteté de préciser que leur vision et une parmi tant d’autres, que la perception des films dépend de l’époque, de la société, du public, de l’individu (citant La Planète des Singes de 1969 qui fut interprété par Sammy Davis Jr. comme un pamphlet anti-raciste à la grande stupeur des producteurs du film…). Pour autant les preuves apportées sont irréfutables. Le lecteur peu habitué à ce genre de discours objectera que le site est politisé, voire qu’il est habité par les idées de race, de genre, de classes. C’est pourtant le cinéma que nous connaissons tous qui est politisé et obsédé par ces questions, et propose des réponses inadéquates. Que les créateurs et le public le veuillent ou pas, consciemment ou non, le cinéma est politique, déjà. D’où ce titre comme une évidence. Pour celle-là qui cite Bourdieu et Chomsky, il doit bien y avoir quelque part sur la toile une revue équivalente qui ferait, elle, référence à Eric Zemmour, Alain Finkelkraut et Samuel Hutington. Hé, mais attendez une minute. Cette vision – insupportable – d’un monde machiste, identitaire et conflictuel, c’est celle qui, de Avengers à Le Hobbit (le bien nommé) en passant par Insaisissables, s’étale à longueur d’année sur nos écrans.
Comment la Femme hérite de la planète : extrait de Jurassic Park
(1993, Spielberg)
Commentaires
Une réponse à “Le cinéma est politique, et aphrodiste (et sexiste)”
Pas des haters? Vous avez lu leurs articles? Leur prose dégoulinant de bile et d’amertume, leurs arguments souvent capillotractés, leur façon de tordre un film pour le faire rentrer dans leur grille de lecture? Vous avez pris la peine de lire leur façon condescendante de répondre à la moindre critique esquissée contre leur méthode? (enfin, des bouts de réponse faites à des extraits de critiques, tordues elles aussi pour faire de leurs auteurs des machistes en puissance). Ce site est une plaie pour le féminisme en en donnant une imagé erronée. Et on ne parle pas de leur façon absurde d’écrire… Pour moi, ce blog est l’objet de trolls extrêmement évolués, se faisant passer pour des féministes pour mieux les discréditer. Si vous avez deux sous de jugeotte, et pour les paraphraser : « boycottez cette horreur!!! »