Hazanavicius toujours d’actualité

Le Grand détournement, premier téléfilm de Michel Hazanavicius est entièrement composé d’extraits de films américains des années 60 à 80. Diffusé une première fois par Canal+ en 1993, une bisbille sur les droits d’exploitation exclu l’ovni du commerce. La Classe américaine circule sous le manteau en VHS puis en divx, accédant au statut d’œuvre culte sur le net. Culte car absurde, culte car les acteurs Redford, Newman, Hoffman, Wayne sont doublés par leurs voix françaises, culte car le futur créateur de OSS-Dujardin s’inspire des détournements situationnistes. Et en plus c’est drôle. Il en sort ce chef-d’œuvre inclassable et désopilant joué par les meilleurs acteurs d’une génération. On dit de The Artist qu’il rend hommage au temps du muet, La classe américaine évoque elle aussi une certaine nostalgie. La bagarre des droits entre Warner et Canal+ et John Wayne est prequse (sic) révolue depuis l’avènement de Google Video, Dailymotion ou Vimeo, qu’il en soit ainsi et en intégralité.

Lorsque nous avons traduit le même sujet pour nos lecteurs anglophones, d’autres thèmes ont émergé du film. On leur explique que l’argot utilisé est complètement inédit à la télévision française de l’époque. On entend des « nar’dine », des « ekhaïm », et même du « sale français ». Mézerette et Hazanavicus assument les références aux situationnistes qui les ont précédés par leurs détournements. Il y a ce pamphlet politique La dialectique peut-elle casser des briques de René Viénet, et aussi le What’s up pussy cat, sauvetage comique de Woody Allen. C’est Guy Debord, qui a conceptualisé quelques années plus tôt cette idée de « culture-jamming » (confiturage culturel) aujourd’hui connu sous le nom de « mashup ».

La Classe américaine n’oublie pas d’être fidèle à ses origines subversives. Dans son absurdité à vouloir singer Citizen Kane, le scénario confronte les personnages à des remises en questions identitaires permanentes, qu’elles soient ethniques ou même sexuelles.

Dans un saloon tout ce qu’il y a de plus normal dans un film français, Sinatra et Dean s’interpellent :

« – Au fait, d’où tu viens.

– Moi je suis juif. Oh oui je suis juif, et si veux tout savoir, je suis même juif arabe.

– Juif arabe ? Hmm… Je préfère les séfarades tu sais. Ah mon avis, juif et arabe c’est bizarre. Moi j’aime pas les gens bizarres.

– Ha merde, je peux pas encadrer les nazis, mais laisse-tomber. « 

Chaque réplique est assénée à la vitesse d’un Marx Brothers et avec la pointe de non-sens des Monty Python. Plus, un truc qui ressemble quand même pas mal à la société française du moment et d’aujourd’hui.

« – En plus c’est du racisme.

– Ca c’est ton opinion personnelle, que je suis raciste. Si y’un raciste ici, c’est oit.

– De toute façon, ça sert à rien de discuter avec toi, tu as toujours raison.

-Si. Ca sert de discuter avec toi, c’est toi qui a toujours raison. »

Un peu plus tard, en 2009, Hazanavicius confirmait dans sa parodie de James Bond/OSS, un humour incorrect comme l’atteste ce poignant monologue – en faveur du nazisme (détourné depuis Shakespeare, Le Marchand de Venise et Jeux dangereux de Lubitsch) – dans OSS : Rio ne répond plus :

Pensé dans les années françaises 1990, Le Grand Détournement est aussi la photographie d’une France métissée par son langage, avant la récupération politique black-blanc-beur. Et peu préoccupée par la laïcité et l’égalité des droits, bien que les insultes racistes et homophobes y pleuvent. Vingt-ans plus tard, que reste-t-il du Grand Détournement ? Ben, une version numérique, ou VHS pour les plus puristes, qui dénonce avec force drama-lol que le ventre de la bête est encore fécond. Le « fanaschisme » dit John Wayne, en conclusion à cette soif du mal. Le mélange crado entre fascisme et fanatisme est aujourd’hui encore vivant. En 2015, à Paris, en janvier, on y était. Juifs, arabes, français de couche, policiers, citoyens, républicains, opportunistes. Ce n’était pas drôle. Alors, tâchons de prendre tout cela avec humour.

La Classe américaine : le grand détournement, de Michel Hazanavicius et Dominique Mézerette, 1993, France – Etats-Unis.

Article mis à jour le 12 mars 2015.


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