Distingué à Beaune 2018 par le Grand Prix, le premier film du chinois Yue Dong nous ramène en 1997 dans le sud industriel où la pluie lamine la terre, les machines, les hommes, et les femmes.
Yu Guowei sort de détention, l’air fatigué. On ne sait pas où il va mais le temps qu’il tourne la tête en arrière, on est transporté dans son passé, vingt ans plus tôt. A cette époque, il était le chef de la sécurité dans une usine métallurgique. La sécurité dans ce coin de la Chine, ça veut dire la police de l’usine, crainte et célébrée. Yu caresse le projet de devenir policier. C’est pour cette raison, et parce qu’il se fait virer du jour au lendemain, qu’il se lance sur la piste d’un serial killer local qui tue essentiellement des jeunes femmes. Pendant ce temps, il pleut. Presque tout le temps. Et sous ce déluge qui a tout l’air d’une catastrophe écologique, pataugent des êtres humains écrasés par le climat, par la vie dans le sud. Lui et Yanzi, une prostituée, rêvent de s’enfuir à Hong Kong, la ville lumière, la ville de la liberté, peut-être car la Grande-Bretagne va la rendre à la Chine.
Le film est long et pourtant économe en effets. Les personnages principaux, joués par des comédiens puissants, économisent leurs paroles. Un nœud entier de l’intrigue se déroule sans qu’ils échangent un mot explicite sur la situation. C’est une des forces de ce premier film. L’autre c’est la peinture, à l’eau, de la Chine à un instant de son histoire où elle va basculer dans une économie de marché, ou un modèle bâtard tout aussi apocalyptique comme l’annonce la fin du film. Et là encore, pas de mots, mais des images. Ces décors toujours sombres, toujours gris, et cette pluie. Il cesse de pleuvoir parfois quand les protagonistes se parlent au-dessus d’une voie ferrée, qui offre la seule perspective, la seule ligne de fuite. Tout le reste est fermé par des murs, la brume ou la pluie, et il y a peu de décors extérieurs où on ne marche pas dans la boue. C’est pesant, et forcément, les amateurs de sensations fortes et de thriller seront déçus. Parce que c’est d’abord une tragédie humaine. Après tout, c’est l’essence d’une certaine branche du polar littéraire, la plus noble, celle qui démonte tous les mécanismes sociaux pour montrer comment la machine finit par produire inévitablement quelque chose de sordide, et pas seulement le meurtre qui déclenche l’enquête. C’est pour cette raison qu’il est plus juste de comparer Une pluie sans fin au polar amérindien Wind River de Tyler Sheridan, qu’à celui tout aussi enneigé d’Insomnia de Nolan. Il faut croire que les réalisateurs n’ont pas tous les mêmes intentions quand ils s’emparent du genre. Dans l’attente du prochain film de Yue Dong, on surveille sa fiche IMDB. (Avec Kdbuzz)
Une pluie sans fin. Réalisation : Yue Dong. Interprétation : Yihong Duan, Yiyan Jiang, Yuan D. Musique : Ke Ding. Chine, 2018. Sortie française : le 25 juillet 2020.