La développeuse Adriana Vecchioli livre son analyse de l’état de la narration après la réalité virtuelle.
Pour cette créatrice d’applications, c’est la meilleure chose qui pouvait arriver au cinéma. Peut-être un peu trop optimiste, et fan de Game of Thrones, elle annonce un « hiver » pour le cinéma traditionnel. Parce que la VR change les règle du jeu, justement. Le jeu de la narration, l’art de blablater des histoires. En réalité virtuelle, l’atmosphère l’emporte sur le scénario. Même si celui-ci focalise l’attention sur une action, le regard du spectateur est libre de s’en détourner (Notes on Blindness – Into Darkness est conçu entièrement dans ce sens). Par extension, le traditionnel cadre, hérité de la peinture classique explose. C’est la panique chez les réalisateurs et les techniciens de l’image. Qu’est-ce qu’on fait ? On va où ? Dans quelle direction pointer la ou les caméras ?
Adriana Vecchioli rappelle qu’il est plus naturel de penser en sphères qu’en carrés et rectangles. Elle ne donne pas la clé de l’énigme, mais il s’agirait de chercher dans cette forme intuitive. De toute manière, la VR, même de nos jours, en est à ses premiers pas. Elle est en revanche abordable financièrement (il suffit d’un carton à 15 euros, et d’un smartphone mamsung à 700 euros…). Le risque, comme on l’a vu avec le cinéma en relief, c’est la prolifération de la mauvaise VR. « La technologie est allée plus vite que les narrateurs. Le langage de la réalité virtuelle reste à écrire ».
Le mal de la VR
Nous avons essayé plusieurs applications de réalité virtuelle et nous n’avons ressenti aucun « mal ». La désorientation est en revanche très forte sur les expériences de type « ride » (montagne russe) : il faut s’accrocher à un élément physique pour ne pas perdre l’équilibre. D’autres utilisateurs ont rapporté avoir ressenti des maux de tête ou des vertiges après l’expérience. Les créateurs devront donc exclure les mouvements de caméras brusques s’ils veulent raconter une histoire et garder leur spectateur en un seul morceau. La VR signera donc la fin du found footage et du faux documentaire à l’épaule. Pour autant, nous ne sommes pas condamnés aux plans fixes. C’est d’accord pour les travellings, mais tout doux.
Il a fallu un siècle de cinéma pour que les cinéastes et le public apprennent ensemble les règles de montage. Avec la VR, il faut tout recommencer à zéro ou presque. Le fondu au noir reste l’artifice le plus admis pour passer d’une scène à une autre. Dans un environment qui simule le réel on ne peut pas se contenter de « tirer un rideau ». Cela se verrait. C’est pourtant ce que fait Mind Enterprises en ouvrant des parapluies pour cacher habilement une transition. Combien de fois un tel gimmick peut être utilisé sans user le spectateur ? Trop déjà, s’insurge Vecchioli.
La chroniqueuse remarque que le dispositif ne se prête pas, à contrario, à l’incarnation, du genre FPS, bien qu’elle appelle à une gamification du cinéma. La réalité virtuelle est définitivement un truc de spectateur. Pour autant, elle peut susciter l’empathie simplement parce qu’elle le projette dans l’action corps, et âme. Vecchioli émaille son argumentaire de citations de The Matrix…
Il faut l’avouer avec la réalité virtuelle version 2016, on vit quelque chose d’inédit. C’est un peu comme si un train arrivait à nouveau en gare de la Ciotat. Adriana Vecchioli dit que cette révolution est celle des sens et aussi des sentiments. Loin de nous déconnecter les uns des autres, la VR nous relie « par les tripes » et « sans nous montrer la moindre goutte de sang ». Pour preuve, la série de documentaires The Displaced du New York Times (vidéo ci-dessus) sur de jeunes réfugiés. Même vues à travers la fenêtre d’un ordinateur, les images restent poignantes.
Après cette brillante analyse des questions restent en suspens. Combien de gens regardent effectivement ces vidéos sous les casques de réalité virtuelle ? Comment prétendre être relié au reste du monde en en étant complètement coupé ? La réalité virtuelle est-elle une vraie bulle spéculative ? Via Adriana Vecchioli.