Le bruit médiatique qui a accompagné la promotion du film « The Interview » est qualitativement au-dessus de la comédie potache et scato de James Franco et Seth Rogen.
Le pitch de la fiction : un animateur narcissique d’un show télé confident de stars et son producteur benêt décident de gagner en crédibilité en interviewant Kim Jong-Un, le leader nord-coréen. Une belle opportunité pour la CIA qui les charge d’assassiner le dictateur. Vous ne rêvez pas, les américains nous ont bel et bien volé le meilleur de la comédie française des années 60 et 70. On dirait Le grand blond avec une chaussure noire« . Les auteurs, acteurs et producteurs James Franco et Seth Rogen y ont ajouté ce joyau gagné par les générations précédentes : la liberté d’expression. Ce dont ils profitent pour ridiculiser la Corée du Nord et son lider maximo. Très courageux, comme le faisait remarquer Desproges, quand on vit à moins de 10 000 kms de Pyongyang. Ils en profitent aussi pour introduire un tas de blagues scatophiles, potaches, et des meilleures. Comme le dit la responsable communication du régime coréen dans le film : « Vous les Américains, vous êtes tellement créatifs avec votre sexualité… et aussi avec les animaux« . C’est exactement ça. Les auteurs-producteurs-acteurs se moquent aussi des travers de la culture américaine tout en faisant un usage immodéré. C’est là que le bat blesse. Voilà déjà plusieurs comédies écrites ou produites par Seth Rogen qui sont allées à la dérive. Rogen a ainsi saboté le Green Hornet de Gondry (2011), puis a laissé exposer toute sa grivoiserie dans This is the end (2013) du même réalisateur et producteur Evan Goldberg. Dans The Interview, Rogen se contente de jouer son personnage de bedonnant lourdaud qui essaie de devenir meilleur. Il en résulte cela : une comédie caca entre copains dont l’idée est née sans doute dans une de ces soirées décadentes à base d’alcool, de cocaïne et de call-girls comme il nous est montré plusieurs fois dans leurs films. On est très loin du Dictateur de Chaplin (1940) et de To Be or Not To Be de Lubitsch (1942), auxquels The Interview a été comparé le temps de la polémique avant qu’on ne découvre l’imposture. La comédie américaine, c’était mieux avant.
Tout ça pour ça ? Il est certain que le plus intéressant dans The Interview c’est son contexte géo-politique. En novembre 2014, alors que le film a commencé sa promotion par le bouche-à-oreille, un groupe de hackers coréens appelé « Gardiens de la paix » a menacé une première fois la maison Sony Pictures. Il est reproché à Sony, non pas de participer à la médiocrité de la pop culture avec des films moyens, mais de produire et distribuer The Interview, une comédie décrite ci-dessus très irrévérencieuse à l’égard de la Corée du Nord et de son boss, Kim Jong-Un. S’ensuit un acte de piratage historique, un véritable « Sonyleak » : bloqué par les hackers supposés coréens, le contenu des serveurs de Sony est rendu accessible à tous, journalistes compris. On y découvre entre autres, les correspondances privées entre cadres de la société dont des conversations qui alimenteront encore des semaines les journaux à tendance people. Mais pas seulement. Le Président Obama a pris plusieurs fois la parole au sujet de l’affaire, tandis que les autorités nord-coréennes nient leur responsabilité. Malgré un faisceau d’indices pointant vers l’Asie, on sait combien les hackers sont facétieux lorsqu’il s’agit de brouiller les pistes. Il subsiste une théorie que ce soit l’oeuvre de pirates plaisantins. En tout cas, merci pour ce moment.
Grâce au web, l’industrie du film nord-américaine a trouvé un moyen nouveau de faire sa promotion. En organisant des fausses fuites de scénario, de photos de tournage, en créant de faux sites, en propageant des rumeurs. Bref, en organisant du bruit. Pour cette fin d’année 2014, le prix du meilleur bruit médiatique, s’il a vraiment été organisé ou amplifié, revient à The Interview. Le mensonge est au coeur de l’intrigue faiblarde du film. Relayée par tous les médias, la rumeur d’une crise réelle entre la Corée du Nord et les Etats-Unis aura fait croire un temps en l’imminence d’une guerre nucléaire. Tout ça pour une médiocre comédie façon Les Charlots chez les chintoks avec la grivoiserie et la vulgarité de la France des années 70. Les deux heures de visionnage sont des heures de vie perdues à jamais. On se console un peu avec deux bénéfices collatéraux de cette crise. Le premier : James Franco après avoir usé son côté beau-gosse confirme un vrai talent comique. La seconde : imaginer que l’entourage d’Obama et celui de Jong-Un ont du se farcir cette farce.
L’interview qui tue (The Interview), de Seth Rogen, Dan Sterling, et Evan Goldberg, avec James Franco, Seth Rogen, Randall Park. Photographie : Brandon Trost. Musique : Henry Jackman. Etats-Unis, 2014.