“Peux tu travailler proprement ?” demande Jerry Seinfeld (parmi les nombreux invités prestigieux de la série) à Louis C.K. avant un gala de charité dans un épisode de la saison 4. “Propre”, c’est à dire sans faire allusions au sexe ou au caca. C’est toutefois résumer de manière trop lapidaire un monde intérieur riche de sa diversité et de ses contradictions. Dans cette série inspirée de sa propre vie d’humoriste, quadragénaire bedonnant, calvitique, rouquin et père célibataire de deux gamines, Louis vit des aventures ultra-humaines dans un quartier de New-York, sous le règne d’Obama. Il apparaît que les préoccupations de l’auteur de nombreux spectacles depuis 30 ans tournent autour du vieillissement, de la mort, de la bouffe, et de la masturbation défendue comme un droit fondamental. A cela s’ajoute un regard lucide sur la condition humaine ou animale. Adopter un chien c’est comme tomber amoureux, c’est acheter un moment futur de malheur (la mort du chien, la séparation), ou voir son amour mourir dans la vieillesse. C’est une des caractéristiques de l’humour de Louis C.K. : dire des vérités à peine déguisées sous le second degré.
De Seinfeld, la série, Louie reprend le découpage en prestations scéniques dans un comedy club. L’histoire racontée dans l’épisode a peu ou pas du tout à voir avec ces intermèdes. Louie est aussi une série de l’après 11 septembre. Il ne fallait pas s’attendre en 2010 à voir un monde positif comme le Central Perk de Friends ou le quintet gentiment absurde de Seinfeld. C’est crade, sans pitié, noir. Des fois les personnages meurent sans raison, comme dans la vraie vie. Et pourtant de toute cette noirceur émergent des moments de grâce, des personnages lumineux, des situations cathartiques. En 2017, le comédien était pris dans un scandale sexuel impliquant cinq femmes qui l’ont accusé de s’être masturbé devant elles sans consentement et en profitant de sa position de pouvoir (en 2014 il a été sacré “roi incontesté de la comédie” par le distingué magazine GQ). Il a depuis reconnu les faits avant de se mettre en couple avec une autre étoile noire de la comédie française, à savoir l’humoriste Blanche Gardin qui n’a jamais caché son admiration pour le grand rouquin. Il serait dommage de réduire Louis C.K. à son obstination pour la masturbation et ses provocations scatologiques. Ici, l’homme est inséparable de l’artiste. Mais c’est quand Louis C.K. arrête de se toucher qu’il devient touchant.
Louie. Série créée par Louis C.K. Etats-Unis, 2010-2015.