Effacer l’historique : le malheur des uns

Dans un lotissement de province où règne déjà une grande solitude, trois célibataires se confrontent à la société moderne. Marie, divorcée, alcoolique et au chômage, est victime d’un chantage à la sextape. Bertrand, veuf libidineux et surendetté, s’entiche d’une téléopératrice mauricienne tandis que sa fille unique est victime de harcèlement numérique. Christine, conductrice de VTC, voudrait gagner cinq étoiles. Les trois paumés, qui se sont rencontrés sur un rond-point lors des manifestations des gilets jaunes, se trouvent un ennemi commun contre lequel ils vont partir en croisade : les GAFA, les grandes entreprises du numérique dont Facebook et Amazon.

Effacer l’historique est revenu de la 70e Berlinale avec un Ours d’argent et rencontre déjà un joli succès en France. C’est pourtant l’un des films les plus réac et les plus lourdement écrit de la rentrée. S’il le tableau brossé est juste par certains aspects il n’en demeure pas moins que la démonstration est laborieuse. Il y a d’abord Corinne Masiero qui raconte sans la jouer sa toxicomanie aux séries télé, qui crie “fuck les Gafa” et nous sort du film ; Bouli Lanners en hacker miracle qui débite son opinion – c’est à dire celle des auteurs – sur l’intelligence artificielle et nous sort du film ; Blanche Gardin qui prend d’assaut un data center avec des explications bien appuyées (“on a tous un data center à côté de chez soi”) et nous sort du film ; etc. Pourtant, tous ces personnages caricaturés à l’extrême sont co-responsables de leur malheur. Abrutis déjà avant le numérique, ils éprouvent de grandes difficultés face au changement, qu’il soit incarné par les truck-foods, la multitude de mots de passe, la répartition administrative du territoire français ou encore la place de la diversité ethnique (Masiero loue son salon à des musulmans en prière et se fait passer pour “Farida” car “c’est mieux pour le travail”). Il ne manque plus qu’un discours anti-masque et la mule est chargée. Effacer l’historique donne à voir une galerie de paumés tellement large que le film perd de sa drôlerie et il ne reste plus alors qu’une peinture glauque de l’humanité et très peu d’empathie pour ses héros. Pour ajouter à l’embrouille, la bande-son est faite essentiellement de musiques en anglais et le film se termine sur une note de réalisme poétique qui arrive comme un cheveu dans la soupe.

Effacer l’historique. Scénario et réalisation : Benoît Delépine, Gustave Kervern. Interprétation : Blanche Gardin, Denis Podalydès, Corinne Masiero. France, 2020.

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