Jordan Peele est l’étoile montante du cinéma et de la télévision U.S. Et c’est une étoile noire, confirmée.
Jordan Peele est auteur de films d’épouvante. Jordan Peele est très bon. Jordan Peele est noir. Considérées séparément, ces qualités ne le distinguent pas de Peter Strickland (Berberian Sound Studio), Robert Eggers (The Witch), ou Spike Lee. Son deuxième film approche le calibre du Shining de Kubrick auquel il se réfère en donnant son premier rôle à Duke Nicholson, petit-fils de Jack Nicholson. Mais Jordan Peele est noir. Et il fait des films d’épouvante. C’est une anomalie de compter aussi peu d’auteurs noirs dans le cinéma mondial, et en particulier aux Etats-Unis, terre d’écueil et d’opportunités pour les afro-descendants. De plus, leur expression est cantonnée à des champs thématiques pas très cotons qui correspondent aux attentes supposées d’un public non-noir. On s’attend ou on attend d’un auteur noir qu’il nous raconte le ghetto ou l’Afrique, qu’il “sublime” la souffrance de “son” peuple par la musique, la danse ou la comédie. Mais pas qu’il nous fasse le coup de la Twilight Zone.
Les Wilson et leurs deux enfants arrivent en Californie dans la maison de campagne. Adelaide se tape déjà des flashbacks glauques de son enfance quand survient l’impensable : ils sont attaqués par des inconnus en combinaison orange qui se révèlent être leurs doubles. Et ils ne sont pas les seuls concernés par le phénomène. Les héros sont noirs mais avant tout, ce sont des petits bourgeois citadins dont la vie était jusque là réglée par la recherche du confort matériel. Ils fréquentent un couple de gens comme eux, c’est à dire aisés, mais blancs. Mais aisés avant tout. Car Get Out, premier film de Peele, mettant en scène l’affrontement entre des jeunes noirs et des blancs faussement ouverts d’esprit, pourrait avoir amené le public sur une voie trompeuse.
Avec cette ambiance crépusculaire, ce réalisme poétique et cauchemardesque, et un twist final, Peele marche dans les pas de Rod Serling qui fut aussi le scénariste de La planète des singes.
Jordan Peele n’a pas seulement des choses à dire, il a aussi des choses à montrer, et tout cela dépasse l’antagonisme racial. On oublie très vite que les Wilson et leurs doubles sont noirs. Ils sont avant tout “des américains” comme ils le disent. Dans le contexte du film, ces américains sont assimilés à un peuple idolâtre qui aurait abandonné le bon Dieu pour des figures purement matérielles, comme la voiture ou l’assistant vocal de la maison des voisins des Wilson. Peele cite la Bible, donc il en appelle au fond culturel d’un certain public, les Américains notamment.
En cherchant la petite bête on peut trouver des défauts à Us (une séquence trop bavarde qui tue un peu le mystère, par exemple). Mais comment ne pas saluer l’écriture, la mise en scène, la direction d’acteurs et même les choix musicaux ? Les comédiens ont eu la chance de pouvoir et la difficulté de devoir composer chacun deux personnages identiques mais différents. Tous, même les figurants, s’adonnent à de véritables performances. Lupita Nyong’o particulièrement, pose un nouveau jalon dans l’histoire des héroïnes badass (dures à cuire) de cinéma avec Adelaide Wilson et son double maléfique, Red. Elisabeth Moss et Yahya Abdul-Mateen II brillent aussi malgré le peu de temps qu’il est donné de les voir à l’écran. Les scènes de violence sont d’abord filmées de loin, puis la caméra s’approche peu à peu avant de s’adonner aux gros plans pour les derniers meurtres. Avec cette ambiance crépusculaire, ce réalisme poétique et cauchemardesque, et un twist final, Peele marche dans les pas de Rod Serling qui fut aussi le scénariste de La planète des singes. Le réalisateur noir a d’ailleurs repris les rênes de la série The Twilight Zone, et se cite lui-même dans le dernier épisode de la première saison : le fantastique selon Peele, c’est, vulgairement, comme “un happening artistique niqué de la tête”. L’auteur, que les critiques attendent au tournant, attentifs au moindre faux-pas, s’est donné une mission qui dépasse le simple divertissement : banaliser les visages noirs dans le cinéma de genre. Accomplie, avec brio.
Us. Scénario et réalisation : Jordan Peele. Etats-Unis, 2019.