La française Mélanie Laurent signe son « premier film américain » adapté du premier roman noir de Nic Pizzolatto, l’auteur de la série True Detective : magistral-e.
Parce que le cinéma français de l’entre-soi des 30 dernières années et nos préjugés nous ont souvent repoussé vers d’autres genres et nationalités, nous n’avons jamais vu Mélanie Laurent jouer sur un écran français. Au mieux, on l’a aperçue sur une affiche, et encore, en la confondant avec Mélanie Thierry et Mélanie Doutey. Pardon. Et puis un jour, Christoph Waltz grimé en nazi a crié : « Au revoir Shoshanna !« . C’était dans Inglourious Bastards en 2009. Les dialogues francophones bizarres de Tarantino achevaient de marquer la performance de Laurent dans un film très américain, violent, provocateur, coloré. Quelques années passent, elle acte, elle chante, et elle réalise des films qu’on a pas vus parce qu’on n’aime pas le cinéma français qui nous aime pas, et car un préjugé est plus difficile à désintégrer qu’un atome. On la voit passer comme un fantôme dans Enemy de Denis Villeneuve. Et puis ce projet en 2016 : Galveston. A l’origine, c’est le premier roman de Nic Pizzolatto. Ce mec avec un nom rigolo est l’auteur de la série policière la plus glauque et la plus réussie depuis Twin Peaks : True Detective. Ce soir-là, à une des projos parisiennes, la réalisatrice Mélanie Laurent se présente seule, en quelques déclarations brèves. Très loin de l’image prétentieuse que les réseaux sociaux ont donné d’elle il y a quelques temps, elle raconte humblement comment elle est arrivée à la réalisation de son premier film américain en langue anglaise. « Par un casting de réalisateurs, ça se fait souvent aux Etats-Unis » explique la jeune femme. Le tournage aura été un bon moment à vivre avec l’équipe technique et artistique, selon elle. Et le choix de Elle Fanning et Ben Foster était un prérequis avec son embauche, parce qu’il fallait “des acteurs de ce niveau” pour porter les personnages et cette histoire. Ironiquement, on connaît mieux le parcours malchanceux de Foster de par notre goût malsain pour les blockbusters (X-Men, Warcraft notamment). Mélanie Laurent salut le public et s’en va rejoindre une autre salle parisienne probablement aussi comble. Tandis que tout se mélange dans notre tête, le cinéma français dramatique de l’entre-soi excluant, nos préjugés, Tarantino, Shoshana, X-Men, Warcraft, True Detective… et le générique commence.
Mélasse white trash
Quelque chose comme une tempête (l’ouragan Ike de 2008) et des volets qui claquent. Cut. Une silhouette, et une voix, un médecin, qui annonce “c’est le cancer”. Roy, gros fumeur et alcoolique, ne prend pas très bien la nouvelle. On comprend qu’il a quarante ans. On croise Beau Bridges, vieux, gros et mafieux. Il lui confie une mission. Quoi ? Impossible de se rappeler, alors qu’on a déjà oublié le début. Tellement d’infos jetées à la face d’un spectateur fatigué, en si peu de temps. C’est le genre qui veut ça, le thriller-polar. Le schéma classique du film noir se dessine petit à petit : un tueur à gages de province prend sous sa protection une jeune prostituée, soit la fable du scorpion qui traverse un cours d’eau sur le dos d’une grenouille. Le scorpion pique toujours la grenouille. OK, mais les scorpions et les grenouilles ne partagent pas le même milieu. Heureusement, le scénario de Galveston n’obéit pas à un schéma linéaire, et les deux bêtes peuvent trouver un terrain d’entente dans cette mélasse white trash entre la Nouvelle Orléans et le Texas. Mélanie Laurent insuffle au récit son regard, celui d’une femme actrice sensible. Aussi, on s’attache aux personnages, à leurs interprètes. Et le piège se referme, sur le public.
Il faudrait le revoir ou le relire pour s’en convaincre mais il nous a semblé que le scénario était parfait. Brodant autour de ce canevas luxueux – dans le contexte industriel américain pauvret, Laurent, épaulée par son chef-opérateur Arnaud Potier (leur troisième collaboration depuis le premier court-métrage de Laurent), nous offre de superbes images. Il y a cette scène de fusillade dans un espace clos : de mémoire, on n’avait jamais vu ce genre d’action filmée de cette façon. Et c’est peut-être parce que le réalisateur est une réalisatrice que même si Elle Fanning, jolie, fraîche, joue et une prostituée, il n’y a pas d’érotisme dans la manière dont la caméra la regarde. De même sa relation avec le personnage de Foster est “désexuée”. Est-ce que la réalisatrice a dirigé et filmé ses acteurs comme elle aurait aimé être filmée et dirigée ? Les cordonniers sont les meilleurs chausseurs. Laurent, enfant de la balle, a commencé dans le métier à dix ans, en prêtant sa voix à l’héroïne de Mon voisin Totoro en 1993. Elle Fanning double le même dessin-animé en 2005. Comme dit précédemment, tout se mélange, les influences, les expériences, les parcours, les rencontres, les personnalités, les talents, les nationalités, les hasards, les intentions. C’est dans ce genre de melting pot défiant les probabilités que naissent les grandes œuvres.
Galveston. Scénario : Mélanie Laurent et Jim Hammett, d’après Nic Pizzolatto. Réalisation : Mélanie Laurent. Interprétation : Ben Foster, Elle Fanning, Lili Reinhart. Photographie : Arnaud Potier. Montage : Guerric Catala, Joseph Krings. Musique : Marc Chouarain. Etats-Unis, 2018. Sortie française : 10 octobre 2018.