La forme de l’eau : merci pour le poisson

Pour ceux qui ne connaissent pas le cinéma de Guillermo Del Toro, voilà un film fin et touchant. Pour les autres, c’est « juste » la somme de l’oeuvre du mexicain, Pacific Rim en moins heureusement.

Dans les années 60, en pleine guerre froide, une jeune quadragénaire fait le ménage dans un laboratoire affilié au gouvernement américain. Par hasard, elle fait la connaissance d’une créature amphibie, plus poissonneuse qu’humaine. Et pourtant elle se reconnaît en cette chose résolument masculine, et comme elle, muette mais douée d’intelligence et de sensibilité. Le plus étrange dans ce film qui caresse la critique et le public dans le sens des écailles, c’est que tout y est bon, du casting à la réalisation, mais cela ne nous a pas empêché de rester de glace devant cette histoire à mi-chemin entre La Belle et la Bête et La créature du lagon noir.

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On adore Sally Hawkins, pour son jeu, son visage, sa mâchoire, et Michael Shannon pour les mêmes raisons. On aime beaucoup les nuances de la caractérisation qui se permet des “méchants” complexes, le mélange des genres (injecter du drame dans un film d’espionnage dans un film fantastique et inversement trois fois), les moments d’humour subtils, la photographie, les décors… Et pourtant. Notre opinion est forcément subjective, car La forme de l’eau a déjà récolté de nombreuses récompenses, dont un Lion d’or à la Mostra de Venise en 2017, et se retrouve en pole position pour les Oscars 2018. Alors, subjectivement, nous posons l’idée que le principal défaut de ce beau film est aussi ce qui fait sa qualité : Guillermo Del Toro. C’est à dire que, depuis des années que le talentueux mexicain écrit, tourne et produit, il nous a emmené dans des monde différents, en même temps qu’il passait de l’artisanat (son premier long-métrage fort et touchant, Cronos, 1993) à l’industrie lourde (Pacific Rim, 2013). Malgré ce parcours qui aurait pu mettre à mal sa spontanéité, le mexicain est parvenu à sauvegarder son univers visuel et sensible. Il suffit d’entendre Del Toro parler de son art pour être convaincu de sa sincérité. Toutefois, dans La forme de l’eau, il décline des thèmes et des situations, voire des personnages, connus, parce qu’ils sont les siens, arrangés dans des configurations attendues. Depuis au moins Hellboy (2004), Del Toro joue la partition du “beautiful freak” ou du monstre gentil. Il le répète dans les interviews, les monstres sont des gens comme les autres, et les gens sont des monstres aussi, mais plus méchants et cruels que leur enveloppe physique ne le suggère. L’histoire d’amour entre Sally Hawkins et la créature est donc prévisible. Les méchants c’est les humains : prévisible. Le personnage muet qui dans un épisode onirique se met à parler : prévisible. Le personnage humain qui découvre qu’il est un cygne et non pas un canard : prévisible. Cela reste touchant, mais le charme et les bons sentiments de La forme de l’eau sont passés sur nous comme la pluie sur une combinaison imperméable. Ce qui ne nous empêche pas, les yeux fermés, de conseiller fortement ce film à ceux qui ne connaissent pas Del Toro ainsi que ceux qui pensent à tort qu’il est le frère de Benicio.

La forme de l’eau. Scénario : Guillermo Del Toro et Vanessa Taylor. Réalisation : Guillermo Del Toro. Interprétation : Sally Hawkins, Octavia Spencer, Michael Stuhlbarg. Photographie : Dan Lausten. Montage : Sydney Wolinski . Musique : Alexandre Desplat. Etats-Unis, 2017. Sortie française : 21 février 2018. 


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