Stranger Things : les copains d’abord
On 20 juillet 2016 by rachidouadahUne mini-série de Netflix propose de revivre les années 80 telles qu’elles nous furent racontées par Spielberg.
En 1983, dans une ville de province américaine trois garçons enquêtent sur la disparition d’un camarade. En lieu et place de celui-ci, ils découvrent Eleven (« numéro 11 »), une gamine douée de pouvoirs psychiques. On croyait que J.J. Abrams avait pillé toute la filmographie et les références des années 80 au point de ne laisser que des miettes à ses suiveurs et même aux cinéastes de sa génération. C’est faux : on peut mélanger les éléments de mythologie semés par Steven Spielberg, John Carpenter, Stephen King ou Katsuhiro Otomo en une infinité de combinaisons on obtiendrait toujours quelque chose de différent. Différent mais avec des airs de déjà-vu.
Stranger Things n’est pas The Thing, ni E.T., Les Goonies, Stand By Me, Altered States, ni Akira, auxquels il emprunte. Il est un peu de tout ça. Un poster, un dialogue ou un extrait de film glissés dans le décor suffisent à faire référence. Ce succès attendu et prévisible pourrait paraître calculé sans l’interprétation convaincante, et sympathique, des jeunes acteurs ainsi que celle plus ombragée de Winona Ryder – dont la notoriété, comme celle de Matthew Modine, homme sans cigarette, s’enracine dans les années 80. Les « stranger things » (choses plus étranges) du titre ne seraient pas cette créature sans visage (une face qui s’ouvre comme une plante ou un vagin multiple, au choix) et anthropoïde. Cette obscur objet c’est bien le désir sexuel qui guette les héros ados ou jeunes adultes et menace de les gober. En cherchant bien, sans même se fatiguer, on trouve des incongruités dans Stranger Things. Ainsi, nous avons un personnage noir – ce qui était exceptionnel voire impossible dans le cinéma américain des années 80 (à moins que le sujet fut spécifiquement orienté comédie ou action-sociale), et il n’est pas sacrifié physiquement à l’autel du héros évidemment blanc et mignon. La meilleure copine subit le sort de beaucoup de personnages secondaires avant lui. Alors que l’héroïne jeune et jolie se donne à un Johnny Depp de basse-cour, la meilleure cops’ complexée, est avalée crue par le monstre dans un montage alterné qui ne laisse aucune place au doute sur la nature symbolique de la créature. De même, la star de la série appelée « El » (Eleven), passe par plusieurs phases de conscience pendant lesquelles elle n’est ni garçon, ni fille, mais travestie. Implicitement, Stranger Things est une série sur l’éveil des sentiments et le passage à l’acte sexuel, un peu comme l’était à la même époque Halloween de Carpenter ou Les griffes de la nuit du regretté Wes Craven.
Comme un relent de puritanisme, et pour le salut des effets spéciaux, la « chose » est cantonnée à l’obscurité ou à un monde parallèle d’où on ne comprend pas du tout comment elle entre, sort, entre, sort, entre et sort à nouveau jusqu’à un final insatisfaisant voire frustrant si on en attendait quelque chose. On se disait bien que cette série n’allait pas révolutionner l’art d’écrire pour la télévision, fut-elle la télévision des années 2020. Au contraire, elle marche sur les traces de toute l’industrie cinématographique et risque bien d’ouvrir une porte vers un enfer de reboots et de remakes, pavé d’un horrible bon sentiment de nostalgie.
Stranger Things. Création : Matt et Ross Duffer. Interprétation : Winona Ryder, Finn Wolfhard, Millie Bobby Brown. Photographie : Tom Yves, Todd Campbell. Musique : Kyle Dixon, Michael Stein. Etats-Unis, 2016. Sortie mondiale sur Netflix le 15 juillet 2016.