MC Jean Gab’1 : « Black-Blanc-Beur ça n’a jamais existé »

Nous avons croisé le rappeur, écrivain et acteur, MC Jean Gab’1. Il nous a croisé en retour.

« MC Jean Gab’1 n’est pas une putain, retiens-le bien » rappait-il en 2003. On l’a bien retenu, ce morceau sobrement intitulé J’t’emmerde, adressé à ce « gros tas de purin qu’est le rap ». De Kool Shen à Booba, tout le monde en a pris pour son grade à cette époque. Il est vrai que le milieu du rap semble peuplé de « tellement de trous de balle qui parlent de rue, à croire que c’est tous des SDF, mais en vrai y’en a pas bézef ». Nous avons croisé Jean Gabin’1, alias Charles M’bouss, 12 ans plus tard, dans une rue du 19e arrondissement de Paris. Un quartier qu’il écumait dans sa jeunesse, après la DDASS – où il a été placé suite au meurtre de sa mère par son propre père -, la maison de correction, et avant la prison (où il aura passé au total 8 ans dont une partie en Allemagne). Depuis 2003, cet « homme en colère » a signé plusieurs albums et mixtapes, deux livres édités chez Don Quichotte. On l’a aperçu dans Banlieue 13 (Pïerre Morel, 2004) et dans Seuls Two (Eric et Ramzy, 2008) entre autres. Il s’est également converti à la musculation de rue, devenant un sportif de de haut niveau à en juger de par sa condition physique. Il a accepté de venir dans nos bureaux pour parler d’une autre condition. Nous avions préparé du thé et du café pour l’athlète, mais Monsieur a préféré une petite bouteille de soda, parce que « un athlète ne se prive pas ». Sans les contraintes et les paillettes de la télévision où il est passé faire la promo de son dernier épisode biographique A l’est, nous avons causé en mode mixtape, expérimental presque. Nous voulions l’entretenir sur l’image des Noirs donnée par les médias audiovisuels, son passé de braqueur – cette figure qui fascine la fiction -, ses apparitions au cinéma, la musique, et son obsession lyrique pour la sodomie (chez les autres). Il nous a répondu avec une voix noble, en hauteur mais pas hautaine, et un langage fleuri, agglomération de mots et d’expressions entendues dans les rues de Paris, Berlin, Chicago, en voyage, à la télé, et aussi en taule. Quelques vidéos et termes employés ci-après peuvent heurter les sensibilités.

mXm : D’abord, est-ce qu’on peut se tutoyer ?

MC Jean Gabin : Oui.

Comment es-tu entré dans le rap ?

Je suis entré dans le rap par moi-même. Il y a deux secteurs. Pour moi c’est du hip-hop. Il y avait des rappeurs comme Style J, Timide et Sans Complexe, à l’ancienne. On est en 87-89. Johnny Go, Destroy Man, c’était les premiers. Et nous on allait au Globo. On écoutait les mecs qui rappaient. On en avait rien à foutre, d’abord parce qu’ils rappaient en Français. C’était clair et net. J‘avais pris le micro quand Style J chantait, j’avais dit deux trois conneries vite fait, je suis descendu. Mais après, j’ai fait une petite virgule dans le rap le jour où Doc Gyneco, Catherine Ringer, Fred Chichin, m’ont donné rendez-vous… C’était où ?… Métro Louis Blanc. Le rap je m’en foutais. Moi tout ce que je voulais c’était embarquer les deux dans un coffre et demander des papelards derrière. On m’a filé du papelard, c’était pas celui que j’attendais, mais on m’a dit « trouve-toi un blase et vas-y, essaie de raconter ce que tu peux sur une galette, sur de la musique ». J’ai trouvé « Jean Gab’1 » comme blase, « MC » comme mes initiales : Charles M’bouss. Je me suis dit « tu braques, j’y vais ». J’ai commencé à balbutier vite fait. Après j’ai fait un deuxième morceau qui s’appelait Paranoïa avec Catherine Ringer. De là j’ai fait un ou deux morceaux, mais celui qui m’a fait sortir du truc c’est Il paraît que t’es hardcore, dans la compil’ Première Classe. Après il y a eu Mec à l’ancienne, Streetlife, ET Je t’emmerde.

« Ill Game » c’est le dernier ?

Ill Game c’est une mixtape. C’est pas un album, je dis bien.

Je suis trop vieux ou trop jeune pour faire la différence…

Faut que tu comprennes : quand tu fais moins dix chansons, c’est un opus. Plus de 10 chansons, c’est considéré comme un album. Donc je ne fais pas un album. J’aime expérimenter, m’éclater alors je fais une mixtape. Alors que dans certains albums je devais rester sérieux pour être sérieux, ça commençait à me gonfler. Quand tu es sérieux on te met dans la case « gratte-dos ». J’ai pas que ça à foutre de rentrer dans une catégorie.

Donc, en date, les derniers morceaux…

Illuminés. Une mixtape qui sort le 18 avril, dont le morceau Renoi.

Tu y es seul ?

Seul. Tout le temps.

Ca sort du sujet de notre rencontre mais je n’ai pas m’empêcher de remarquer qu’il y avait beaucoup d’insultes dans cette discographie. Par exemple dans Ill Game tu t’en prends à Oreslan…

Il faut que tu comprennes : Ill game c’est comme Illuminés. il s’est passé un temps où j’ai rien fait. J’avais certains morceaux que je ne pouvais pas donner alors je les ai jetés dans une mixtape. Cette mixtape a été faite tellement vite, parce qu’une mixtape c’est fait pour s’éclater.

D’où la sonorité quasi-artisanale de certains morceaux.

Le grand problème des français c’est de ne pas comprendre quand ils n’ont pas envie et de faire semblant. Les américains imposent l’idée de la mixtape. Ici tu poses une mixtape on te dit c’est un album. Un album c’est beaucoup plus sérieux, beaucoup plus travaillé. Y’a de la recherche dedans parce que théoriquement c’est avec celui-là que tu vas becqueter. La mixtape c’est fait pour dire « I’m back » ou pour essayer de te mettre au diapason, dépasser un certain niveau. Ca s’arrête là. Que je m’en prenne dans Ill Game à Orelsan ou je sais pas quoi, c’est de la branlette sur cire.

Avec les rappeurs ont ne sait jamais où s’arrêtent les personnages et le spectacle…

Non, justement on se goure. Les musiciens, surtout les nôtres, font beaucoup plus de baratin que le rappeur lui-même. J’ai eu la même chose avec DeCaunes par téléphone pour préparer une émission. Leur truc c’est taper sur le rap, taper sur une minorité. Le rappeur en fait toujours trop. Je suis désolé, regardez la pop française de Halliday, etc. (ndlr : en 1988, en tête des ventes de disques le groupe Elmer Food Beat, classé « humoristique », faisait la promotion du viol collectif avec son single Danièla). Il y a un problème. Où s’arrête la réalité et commence le spectacle ? Les mecs sont des artistes, ils faut bien prendre la chose, que ce soit des rappeurs, peintres, ou machin.

J’ai bien pesé le pour et le contre, et quand ça défrise je sais que je suis dans le vrai.

Il y a du passif (dans ta discographie). Le morceau « J’t’emmerde », une bonne fois pour toute, c’était une combine de managers ?

Non, le morceau je l’ai pesé, chié, j’ai donné des directives à Ol’Tenzano pour avoir exactement le morceau que je voulais. Mon manager c’était un crétin, incapable de chier un truc pareil, d’abord c’est pas son délire, et un moment il faut savoir écrire. Et je joue sur les teintes, ce n’est pas une série d’insultes. J’ai bien pesé le pour et le contre, et quand ça défrise je sais que je suis dans le vrai.

Ca ne s’arrête pas là, dans plusieurs morceaux tu emploies le mot « enculé », et même « sale pédé », adressés à d’autres rappeurs.

On est dans un bled où les gens font sembler de peser les mots quand ça les arrange. En France, c’est un grand pays d’hypocrites où les gens ne s’occupent que des mots qui vont déranger une certaine minorité de gens. Par contre si tu mets « négro », on en a rien à foutre, c’est un truc qu’on dit toute la journée depuis la nuit des temps. Quand tu dis « PD » à un mec, c’est pas forcément un pédé. Ca peut-être un connard, il peut avoir une meuf. C’est toujours sur les mêmes mots qu’on vient emmerder les gens mais pas les mots qui viennent avant.

Peux-tu re-raconter l’anecdote qui t’es arrivée sur le plateau de Canal+ ?

C’est récent, chez Maïté Biraben, avec Cohen-Bendit en invité. Ils ont fait un sketch où ils ont dit « un juif », « un beur » et « un négro ». Là y’a une insulte : négro. Les beurs, ici, ne sont pas des arabes mais des maghrébins. Juif n’est pas une insulte. « Négro » en est une. C’est très facile de faire semblant de tomber dans les pommes parce que t’entends un mec qui dit « pédé ». Très facile de faire semblant. « Black-blanc-beur », ça n’a jamais existé puisque « black » théoriquement est en troisième position voire en quatrième. Pour moi c’est des foutaises.

Revenons à ton livre « A l’est », il me rappelle le jeu GTA.

Je ne sais pas ce que c’est.

Je n’essaie pas de faire plaisir au lecteur.

C’est un jeu vidéo à la première personne où le jouer endosse le rôle d’un immigré européen aux Etats-Unis qui se lance dans le banditisme. Ton livre possède presque la même structure linéaire, qui m’a un peu déçue. Est-ce que ce second livre est une étape avant de clore une trilogie ?

Ca n’a rien à voir. Le premier je raconte 40 piges, le second c’est trois mois. C’est deux choses différentes. Quand j’écris je me mets pas dans la peau du lecteur, mais dans ma peau à moi, ma pelure. La seule chose que je fais c’est que je relate sans essayer de faire… même si c’est écrit plus rapidement que le premier, je n’essaie pas de faire plaisir au lecteur. La seule chose que je fais c’est je retranscris en étant le moins évasif. C’est la seule chose que je m’emploie à faire à l’intérieur d’un bouquin. Si je dois en faire un autre, encore plus court, ça aurait été le même délire. Et ça n’aurait pas été GTA 10, parce que sur un mois ça va beaucoup plus vite. Moi je vis mon aventure. Je suis parti pour une bonne raison : vivre, déconner, faire ce que j’ai envie de faire quand j’ai envie de le faire.

Pourquoi avoir pris ce pseudonyme ?

Parce que j’emploie énormément d’argot. Je suis né à Paname.

D’ailleurs un de tes morceaux qui commence avec la voix de Gabin dans Quai des brumes, est dédié à Paris.

Oui je dis tout de A à Z mais je ne le referai plus. « J’ai deux amours, mon pays et Paris ». Je le referai pas car je suis allé chercher dans mon crâne, vite fait, en pensant aux arrondissements de Paris, les escargots, etc. C’est mon terroir. C’est la raison pour laquelle j’ai pris « Gabin » comme pseudo même s’il habitait Montreuil, et moi aussi.

Un pseudo inspiré par la télévision ?

On avait deux chaînes. On voyait plus Jean Marais, le commissaire Maigret et moins Gabin.

Peut-être que MC « Jean Marais » ça aurait fait un peu « pédé ».

Ha ben voilà tu mets le mot « pédé » toi aussi. C’est Marais et Cocteau.

Tu prends un pseudo inspiré du cinéma. Est-ce que tu te reconnais dans le cinéma français et les médias ?

Absolument pas.

Pourquoi ?

Ca tourne toujours autour de la même chose. J’ai l’impression que les mecs vivent en France mais qu’ils vivent dans leur quartier. Ca s’arrête là, soit c’est le quartier, soit c’est les bobos. Je suis fatigué. Si c’est pour me mettre à poil, j’ai pas que ça à foutre. Si c’est pour galocher un mec pour pouvoir faire du cinéma, y’a Joey Starr. Non, je ne me reconnais pas du tout. Je suis né ici et des fois j’ai l’impression d’être un OVNI. C’est où ici ?

Tu parles de Paris 19e ?

Pas seulement, ça dépend où tu vis, dans quel quartier ou quel coin du 19e. Y’a des coins dans le 19e qui sont dégueulasses, d’autres qui sont fantastiques. Le cinéma c’est ça : généralement c’est des potes, ils sont cinq. Tu dis « youpla boum » ! Déjà on n’est pas que cinq et je suis fatigué de voir toujours la même chose.

L’homme noir, le Noir… Au fait Charles, quel est le bon mot ?

Y’a pas de mot.

Il faut bien un mot pour désigner une réalité. Tu es…

Je suis Noir et quand on me demande mes papiers et de quelle origine je suis. C’est la première des conneries.

Tout ce qu’on fait aujourd’hui c’est diviser les gens.

Chez Karl Zero (et ailleurs) vous avez dit « je suis un Noir européanisé ».

Oui, un Noir européanisé c’est quelqu’un qui est né dans un pays, a la culture du pays, mais à qui on refuse explicitement d’être français, puis qu’on me demande toujours « d’où viennent tes parents ». Alors me fait pas chier, ne me donne pas des papiers du droit du sol et laisse-moi avec la nationalité de mes parents. Ici quand tu n’a pas la couleur adéquate on va te demander autre chose. Sans oublier qu’il y a des Antillais mais on n’en a rien à foutre puisqu’ils sont à 8 000 bornes. C’est comme si demain on me demandait de m’intégrer. Manuel Valls, je suis né en France, pas toi. Première des choses. Seconde : ce qu’on demande à un nourrisson dans un hôpital c’est [de faire] « ouin ! ». Jeremy, yeux blonds, cheveux blonds, Stéphane, brun, yeux marrons, même chose. Charles, noir, yeux marrons : « ouin ! ». Je suis né en France, ça s’arrête là, c’est ça l’intégration. Demander autre chose c’est de l’assimilation. On va arrêter les bêtises pendant trente secondes. Demander à quelqu’un de changer tout son être pour faire plaisir à d’autres c’est de l’assimilation. Et ça c’est encore une forme d’esclavage. Il faut arrêter les conneries pendant 20 plombes. J’arrive à 50 ans et je me dis qu’on est pas du tout dans le progrès, on est dans la régression totale. Et quand dis « totale » je suis sérieux.

La régression dans quels domaines ?

Dans tout. Les gens dans les années 80 avaient l’habitude de voir des Noirs, des Arabes, tout le monde mélangé ensemble, il n’y avait pas autant de bordel que maintenant. Le seul bordel qu’il y a eu était social. Les cités, du moins Lyon, etc., ça a montré qu’il y avait quand même un problème. Il y avait Touche pas à mon pote, etc. Aujourd’hui tout ça c’est des conneries. Aujourd’hui on fait tout l’inverse avec ce problème national. La seule chose qu’ont fait aujourd’hui c’est diviser les gens. C’est pas vrai leur connerie, mettre un drapeau ne fait pas de meilleurs français. Là on va droit dans le mur.

On y est pas déjà avec les événements de janvier et novembre 2015 ?

On était déjà dans le mur avec les attentats. Sauf qu’on a fait semblant de pas voir qu’il y a avait un mur depuis le début. Puis y’a certaines déclarations d’hommes politiques qui ne sont pas tolérables dans un bled. Tous les hommes politiques depuis Chirac ont eu dans leur gouvernement quelqu’un qui sort de grands conneries. Les enfants d’immigrés sont français. Si vous les prenez aussi pour des immigrés faut pas venir pleurer pendant 20 plombes. Le terrorisme là, c’est des fils de pute, des petits enculés, je ne cautionne pas, je ne suis pas avec. Mais il faut se mettre quelque chose dans le crâne : 60% de l’Afrique est francophone. Dans toutes ces zones là il y a des problèmes. Je ne comprends pas. Mais il y a un autre problème oublié : ces gens qui viennent chercher à manger; pourquoi on leur dit pas la vérité dès le départ. Pourquoi nous, Français, ne disons-nous pas : « on vous vole tout le temps et ça ne s’arrêtera pas ». Il est là aussi le problème : de faire croire à une population qu’elle n’a pas d’argent alors qu’on vient le lui prendre.

Revenons sur la place du Noir dans le cinéma.

Ce n’est pas la place seulement du Noir dans le cinéma, c’est la place du Chinois, du Sri-Lankais.

Certes, ou la place du « rebeu ».

Non, pas la place du « rebeu », il en a une, ça c’est des foutaises.

Disons qu’il n’y a pas d’acteurs noirs visibles.

Si, il y en a 3.

De fait, un Noir à l’affiche fait que le sujet du film est en rapport avec l’identité ou la race si tu me permets ce mot, d’ailleurs je me le permets.

Et pour moi c’est un problème.

Pour moi aussi, en tant que blanc ou arabe, ou autre.

Tu n’est pas un Arabe ! Tu es un africain du nord. Si nous même n’arrivons pas à faire comprendre qui nous sommes, et pas ce qu’ils veulent que nous soyons…

Pour être ça, il faudrait accéder aux outils qui façonnent les représentations (les médias), offrir des modèles positifs. D’ailleurs, est-ce que ton personnage et son fond de commerce – l’ex-braqueur qui n’a pas choisi sa vie…

Si, à partir d’un moment j’ai décidé d’être braqueur j’ai choisi. C’est tout ce qui s’est passé avant que j’ai subi.

Est-ce que tu ne serais pas en train nourrir un cliché au lieu d’être un modèle ?

Un modèle c’est l’image qu’ils veulent que tu représentes. Je t’en donne deux. Nelson Mandela, pour une certaine population c’est un héros. Pour d’autres c’est le plus grand traître d’Afrique du Sud. Autre exemple : Obama. En France on nous a dit à tous les noirauds que ça allait changer des choses. Déjà Obama est américain, je suis français, on n’a pas les mêmes sujets de conversation. Ca n’a rien changé pour moi. C’est la plus grande connerie que de prendre un Noir et de dire qu’il va représenter tous les Noirs du monde. On nous a mis Roselmack à la télévision avec un cocorico alors qu’en Angleterre, en Allemagne, ça existe depuis dix piges. Donc on se dit « vous vous foutez de la gueule des gens ». Là on nous parle d’Omar [Sy] tout le long comme s’il n’y avait qu’Omar au cinéma. Mais avant on parlait pas d’Omar, on parlait pas de renois tout court. On a voulu nous en mettre un sauf que c’est l’autre qui a pris sa place. Je ne dirai pas le nom de celui qu’on a voulu nous mettre. C’est le « bon nègre de service ». C’est celui qui est capable de galocher les mecs pour rien du tout. C’est le nègre de service, il a la bonne couleur. L’autre est trop foncé. C’est la réalité. C’est un accident mais un bon accident. Je remercie les dieux qu’il soit aux Etats-Unis. Tout le reste c’est des conneries. On me dit du tu es « pro ». Je suis « pro-français » mais ne pas être reconnu en tant que français à part entière, il y a une foutaise quelque part.

Le cinéma étant déjà un milieu fermé, il l’est encore plus pour les autres variantes colorées ou ethniques dont on n’a pas les mots pour les désigner.

A part les rebeus. On a oublié quelque chose, la moitié des producteurs qu’il y avait avant ou maintenant sont tous nés au Maghreb.

Tu veux dire que ce sont des séfarades.

Oui, il n’y a pas de honte de ça. Dans la télévision française tu as des rebeus, autant que des autres. Y’a pas de problème dessus. Si tu veux aller plus loin, déjà il y a plus de rebeus que de renois en France (…). C’est la réalité, c’est logique. L’Algérie n’était pas une colonie mais un département français, ce qui change beaucoup de choses dans la relation et même le voyage, tu vois ce que je veux dire. C’est juste pour dire qu’à un moment je suis fatigué de ces trucs de quotas ou ci ou ça. Si vous ne voulez pas en parlez, n’en parlez pas et n’en faites pas. Parce que quand vous en faites, c’est pour faire des « cocoricos ». Pourquoi ?

D’accord, mais même le symbole Obama ne t’as pas touché ?

Que dalle ! D’abord je sais compter jusqu’à deux !

Ok, on va arrêter de parler d’Obama…

(rires)

Concernant la représentation des Noirs et des Arabes dans les médias, je trouve qu’on a fait beaucoup de progrès.

Pour qui ?

Je parle juste en termes de représentation ! Avoir des noms et des faciès différents habitue les gens à ne plus avoir peur, avoir moins de préjugés.

Tu as oublié un truc. Il y en a toujours eu. Tu prends tous les films de Roger Hanin, ils étaient tous en Tunisie ou machin, etc.

Je suis désolé mais c’était des juifs tunisiens ou marocains, ou des pieds-noirs qui ont fait ce cinéma.

Non mais juif ou marocain, ça parle en rebeu à l’intérieur !

Soit, mais si on regarde la télévision française on se rend compte que les Noirs ont une meilleure image que les Arabes, parce qu’on voit des Noirs avocats, présidents, dans les séries américaines.

Mais ça c’est l’Amérique. C’est pour ça que je dis qu’Obama ça m’a rien fait. C’est l’Amérique, ce n’est pas la France.

Tu as raconté une anecdote sur les didascalies (les notes de mise en scène) quand tu as tenu le rôle principal du film Black. Tu ne savais pas ce que c’était. C’est vrai ?

Ouais, je suis sérieux. Je ne savais pas. Je pensais que c’était un mec. Je me suis dit « vous me donnez le premier rôle et l’enfoiré dit plus de trucs que moi ». Je suis parti, je suis rentré dans le gras. On m’a dit « t’es sérieux ? », « mais oui tu vois pas ma galach ? ». On m’a répondu « mais non les didascalies c’est des trucs de mise en scène, « temps éclairé », « intérieur soir »… J’ai répété ça tout le long : « didascalies »…

C’est trop mignon.

On dirait un gogol qui rentre dans un truc, c’est tout.

Ne soyons pas méchants, ne discriminons pas cette minorité…

Gogol ce n’est pas discriminant. T’inquiètes je connais un neurologue, je préfère dire carrément chromosome 21, voilà.

Tu me rappelles Roschdy Zem qui à la fin de son premier tournage avec Téchiné a pleuré à force d’attachement à l’équipe.

J’ai eu la même chose dans Black. Tu fais trois mois de tournage, tu vois les personnes sur une pige, voire trois mois non stop. T’es avec les gens, le film il s’arrête. Faut refaire la vaisselle, ça fait mal. (rires).

Qu’est-ce qui a pas fonctionné dans Black ? Le scénario, déjà à la base ?

Je m’en fous du scénario, c’est le rendu. Que ce soit un film de série Z ou B, pour moi c’est un film, le truc c’est le rendu. A un moment c’était donner à boire et à manger à la colonisation, c’est quoi ce truc ? Chaque fois que tu dois rentrer dans un village africain il y a une mémé qui doit tourner au truc. Ca aurait pu être écourté pour aller plus vite, les dernières 40 minutes du film j’étais plombé, j’avais envie de dormir.

A un moment ça part dans le fantastique… (François Levanthal dans le rôle du vilain se transforme en reptile suite à une malédiction ou un truc dans le genre, ndlr)

Oui, ils auraient du s’arrêter. La transformation c’est pas grave. Mais ils auraient pu s’arrêter comme s’il avait la sclérose en plaques. Ca existe. Quand j’ai lu « serpent » j’ai cru à deux trois crevasses. Mais c’est pas moi qui était le réal, etc. J’ai été super heureux de jouer dedans, c’est clair.

Je ne t’ai pas reconnu dans Qu’Allah bénisse la France d’Abdelmalik. C’est bon signe de ne pas reconnaître un comédien dans son personnage.

Je me suis glissé dedans.

On va te revoir bientôt au cinéma ?

Ben, le dernier rôle qu’on m’a proposé c’est celui d’un homo.

Ha.

C’est pas mal, c’est cool, mais je le ferai pas ! (rires)

Si demain tu dois me faire faire un rôle de gay, je veux bien. Mais ton rôle de gay il m’emmène où ?

Tu as peur de mettre en danger ton image publique ? Des scènes trop osées ?

Non. Il y a un moment où tu dois être capable de refuser les choses. Si tu fais tout pour l’oseille, il y a un moment où je dois pouvoir me regarder dans la glace et me dire « est-ce que je suis fier de ce que j’ai fais ? Oui ou non ? ». Si demain tu dois me faire faire un rôle de gay, je veux bien. Mais ton rôle de gay il m’emmène où ? Surtout si c’est pour une comédie, ce rôle de gay m’amène où ? Dans un trou, avec une chape de ciment par dessus, allez au-revoir, bonne journée. Ci-gît MC. Si c’était Philadelphia je sais où te ramène le film, et je le fais. Mais si c’est pour faire l’oncle Tom de service ça va aller. J’ai demandé pourquoi ce rôle, on m’a dit « parce que tu représentes la masculinité ». J’ai dit « c’est pas la peine de vouloir m’émasculer alors ». C’est pas que ça me fout la rage, mais il en faut un, alors tu es un accessoire.

Qui t’a proposé ce rôle ?

Les trucs Fichner. Je trouve ça marrant. Si j’ai d’autres propositions, je les regarde et les accepte ou non.

Maintenant que le mot « didascalie » ne te pose plus problème, personne ne t’a jamais proposé d’écrire les dialogues d’un film ou d’être consultant ?

Non. Mais on m’a tout dit, le doublage, le somnambulisme. Mais on ne m’a jamais proposé.

Dans ton livre, tu racontes qu’en arrivant à Chicago, on te mets une arme à feu dans les mains pour braquer une voiture. Alors que tu le faisais à mains nues dans le 19°. Ce quartier parisien était si dangereux que ça en 88 ?

Le 19°, fallait faire un tour sur le boulevard Jean Jaurès ou ce que tu veux. Dans le 20° il y avait des agressions ou ce que tu veux, etc. C’est comme si un mec du Mont Saint-Michel venait faire un tour à Barbès il y a quinze ans. Il tombe dans les pommes. Il se dit « on est où là ? ». Le 19° c’était pas Barbès mais de 1986 à 1992 c’est un vrai problème. Surtout de l’avenue Jean Jaurès jusqu’à l’avenue de Flandre, t’as que des putains de problèmes.

A la fin de ton aventure « A l’est », tu conseilles à tes « frolos » en revenant sur Paris, de se lancer dans la came, c’est à dire l’héro.

Oui. Je suis dans une époque où les gens font croire que ce sont les Noirs et les Arabes qui ont amené l’héroïne. Je suis désolé, c’est le petit caucasien, français, qui l’a fait. D’ailleurs la France est bien connue pour la French Connection, de temps en temps ils s’en vantent. Quand ça passe pour une histoire de drogue, le plus mauvais c’est l’Arabe et le Noir. Alors qu’ils font des films eux, où c’est les vacances toute la journée. On promotionne, on promotionne…Il faut comprendre que j’avais un certain âge, 20-21 ans, l’héroïne il y en avait à Genevilliers, Nanterre, Barbès, rue Petit bien avant que j’y arrive, Laumière a toujours été un coin de meuca.

Si les médias focalisent sur la délinquance « en col-noir » c’est pour dissimuler la délinquance en col-blanc ? Car à t’entendre, des fois on dirait un expert boursier de BFM-TV.

Oui. C’est ça. Il faut arrêter de croire que le délinquant n’a pas de crâne, ne pense pas. Il est dans une logique économique depuis le début !

D’après l’ami public Zemmour, la « plupart des dealers sont Noirs et Arabes »… Du coup, peut-on supposer que les consommateurs sont Blancs ou d’une autre couleur socio-ethnique ?

Je crois que Zemmour se goure. Je pourrais lui montrer un nombre incalculable de petits blancs qui vendent, un nombre incalculable de petits juifs qui vendent aussi. Mais qui n’auront pas le même traitement au commissariat, au tribunal. Ce mec là je te le remets en place à la vitesse de l’éclair. C’est juste de la propagande de trou de balle. La vérité est économique.

On aime le gangster parce qu’on s’y identifie sans vouloir l’être.

Pourquoi les braqueurs, voleurs, gangsters font de bons héros de fiction ?

On aime le gangster parce qu’on s’y identifie sans vouloir l’être. C’est un instant cinématographique ou télévisuel. « Ouais, youpi je voudrais être comme lui ! » et puis clac on revient à ce qu’on est. Les filles gentilles aiment les bad boys, pas les flics. C’est la choucroute qu’on te sert. Elles aiment l’uniforme. Mais c’est encore pour un autre truc, c’est dans l’inconscience fablique ou phallique de la femme.

Je ne connaissais pas le mot « fablique ». Pour conclure, je voulais te demander comme se sont passées ces semaines de promo à la télé ?

C’est un exercice, tu dois t’y plier et puis c’est tout. Il faut pas prendre pour argent comptant ce qu’on te raconte, faut garder les pieds sur terre, alors parfois je parais froid et distant mais non. Je suis heureux que les gens m’invitent, mais faut pas être dupe. On sait pourquoi on t’invite, parce des fois je parle pas de mon bouquin, des fois je parle de tout sauf de mon bouquin. Tu ne le vois pas, mais moi je le sens. Ca me fout les boules. A la télé je ne le retranscris pas, je reste zen. Mais à l’intérieur de moi, je boue.

Pourquoi ?

Parce que, comme si demain je t’invite, tu t’es fait chier à faire un truc, un vrai travail technique, et on va te parler du mouton que Mohamed a égorgé dans sa cave juste parce que t’es un rebeu. Tu vas le regarder comme ça et tu vas dire « ok, cool ». On va pas sautez en l’air non plus. Je dis « Voyez-moi » !

J’espère ne pas avoir fait cette erreur.

Non, mais dans l’émission à l’autre on me parlait plus du premier que du deuxième bouquin. Et tu la fermes. Je crois qu’ils ont loupé deux piges.

Tu connais la réalité de ces milieux mieux que moi, si tu n’as rien à vendre on ne t’invite pas.

Oui, mais soyez à la date.

Je regrette de ne pas avoir lu le premier, au moins ça m’évite de t’en parler. De toute façon mon sujet c’est l’image des Noirs.

Fantastique. Toi tu me parles du deuxième bouquin, où je suis. A la téloche je ne peux pas retranscrire mes émotions, parce que tu arrives on me parle de tout sauf du bouquin. On m’invite. OK. Mais qu’est-ce que tu prends à l’intérieur de toi… Tu te dis « putain, je me fais chier pendant une pige à écrire un bouquin, j’ai mis mes tripes à l’intérieur et ils sont en train de me parler d’un truc même pas en rapport ». Et toi tu témas comme ça en disant : « WTF ».

Et encore tu n’as pas fait Ruquier.

Ruquier ça va être difficile parce que dans un bouquin où je met de temps en temps « fiotte », « machin-chouette », etc. Non.

Ton « sale pédé » ne passera pas.

Dans le livre ?

« C’est une foutation de gueule perpétuelle. »

Dans les chansons.

De toute façon il n’écoutera pas. Le truc c’est qu’il y a beaucoup de gens qui aiment tailler (railler,ndlr). D’ailleurs Ruquier adore tailler. Mais c’est des gens qui ne prennent pas la critique. Je le redis. Le grand problème en France c’est que les gens ont du mal avec leur vraie image. Si t’es un homo, t’es un homo. Y’a pas de honte à être homo. Le problème c’est que quand tu commences à taper dessus, les mecs ils sautent en l’air. Par contre dès qu’il s’agit d’un truc de racisme ils en ont rien à foutre ou font les mijaurées. Quand Ruquier promotionne pendant quatre ans, quatre ans, les plus grandes théories racistes, sur la plus grande écoute, et aujourd’hui il fait « désolé, je ne savais pas »… Tu me prends pour un connard ou quoi ? Il faut arrêter ces bêtises. C’est bien joli les médias tout ça, mais depuis dix ans ils ont ouvert une porte qu’ils croient refermer en racontant des conneries. Cette porte de pandore va vous ramener toutes les conneries au monde, pas une fausse guerre civile. Ils ont oublié quelque chose : ces gens ne sont pas originaires d’ici mais font comme s’ils le sont, et les autres ne le sont pas. Depuis dix ans les médias, si tu prends le temps d’observer, d’écouter les conneries que les mecs racontent, et t’as les gens qu’on pousse à applaudir derrière… Mais venez pas pleurer après ce qui va arriver du jour au lendemain ! C’est fait pour. Moi, c’est ce qui me tue dans ce bled où on fait semblant de larmicher pour des faux trucs alors que le vrai truc on pisse dessus depuis le début.

Il est vrai que la blessure des émeutes de 2005 est encore ouverte et le jugement Zyed et Bouna vient de tomber…

Non, c’est bien ! C’est made in France ! C’est une foutation de gueule perpétuelle et ouverte. Et mangez-là et fermez-là ça s’arrête là. Et quand tu dis l’inverse t’es un réac, un ci, ou un ça. Mais non, je suis juste un mec qui un moment arrive à une étape de sa vie et se dit « est-ce que tout ce qu’on m’a appris jusqu’à maintenant c’était juste ? ». Ou « est-ce que ce que j’ai vu jusqu’à maintenant me mène dans le bon chemin ? ». Non, on ne va pas sur le bon chemin ! Je ne ressens plus ce besoin d’appartenir à quelque chose. Etre un bon footballeur français aujourd’hui c’est un mec qui chante mieux la Marseillaise qu’il joue au foot.

Propos recueillis par Rachid Ouadah le 18 avril 2016.

Photo (c) Sophie Daret/Don Quichotte.

A l’Est de Jean Gab’1, éditions Don Quichotte.

Discographie complète sur Deezer.


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