Des séries américaines de série B (1/2)
On 22 septembre 2015 by rachidouadahLoin derrière les succès qu’on connaît presque tous, il existe des séries anglo-saxonnes aux qualités discutables.
Les auteurs (et spectateurs) français vivent dans la frustration et l’adulation du modèle américain très carré industriellement et pourtant de plus en plus créatif. L’afflux de talents du cinéma vers le format série télé, explique en partie le bond qualitatif de cette dernière quinzaine d’années. Mais toutes les séries d’outre-atlantique ne sont pas du calibre de Breaking Bad ou Le Trône de Fer. Nous avons fait le tour d’horizon de ces productions moins connues, et à qualité variable.
Intruders : bis repetita bis repetita
Ils se réincarnent dans des corps différents depuis des siècles grâce à un rituel magique. Ils sont guidés vers leur nouvelle enveloppe charnelle par des « bergers », sorte de tueurs à gages qui éveillent leur ancien moi au détriment de l’âme (ou de l’esprit, on n’y connait pas grand chose en la matière) qui occupe déjà le corps en question. La petite Maddie, 9 ans, se voit ainsi expulsée de sa propre chair par l’esprit d’un serial killer vieux de quelques milliers d’années. C’est l’occasion de quelques scènes truculentes qui rappellent la performance de Kristen Dunst dans Entretien avec un vampire, mais sans plus. Pour le reste, ça démarre lentement et confusément. Le héros, engoncé dans son amour pour Amy (Mira Sorvino, seule tête d’affiche « cinéma » de la série) refuse d’admettre la réalité même une fois mis devant les faits accomplis. En d’autres termes, il est très con. Parce que c’est BBC America qui produit et diffuse cette série adaptée d’un roman anglais, le premier rôle est occupé par John Simm. Le pauvre John se démène pour nous faire croire qu’il est un ancien flic de Los Angeles reconverti dans l’écriture, alors qu’on sait, depuis qu’on l’a aperçu dans Life on Mars, que c’est un britannique pur jus, du Lancashire précisément (merci IMDB). Intruders c’est un scénario inutilement intriqué, sans aucun héros à qui s’attacher. Mira Sorvino écope comme elle peut mais n’arrive pas à empêcher le naufrage de son personnage et de l’intrigue. Partant d’un concept entendu mais intéressant, la première saison passe à côté de son potentiel mystique, se focalisant sur la poursuite d’un tueur en série par un ex-flic, que du banal finalement. L’occasion d’exploiter les nombreuses pistes se présentera peut-être dans une autre vie, puisque l’audience et les décideurs ont convenu qu’il n’y aura pas de deuxième chance pour cette série. Et même si « la volonté d’un enfant de retrouver ses parents est plus forte que tout« , same player don’t shoot again. OCS Choc.
The Messengers : bigot is bigger (plus c’est bigot, plus c’est gros)
Ils sont sept à avoir été choisis par le Divin pour sauver l’humanité des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse (la guerre, la mort, la pestilence, la famine selon le Nouveau Testament, le capitalisme selon des contemporains). Comme dit un des personnages, une asiatique capable de se transformer à volonté comme la Mystic dans X-Men : « je ne crois pas à votre truc, je suis bouddhiste ». Ce n’est pas grave, la bigoterie est soluble dans la culture pop mondialisée. The Messengers est pétri d’une imagerie chrétienne rappelant le catéchisme qu’on n’a pas fait : parfois les héros sont affublés d’ailes bleues-blanches pour bien nous faire comprendre qu’ils sont bons, et les yeux du diable brillent d’un rouge vif pour bien nous faire comprendre qu’il est méchant, méchant, méchant. En vérité, pas plus que le Jr. de Dallas. On reconnaît dans The Messengers une variation sur le thème des super-pouvoirs, teinté d’un préchi-précha scientifico-religieux. Inégale mais sympathique, quoique tournant parfois à la telenovela, la série n’est pas disponible sur les réseaux francophones. On compte sur les mauvais goûts de M6, TF1 ou leurs filiales de la TNT pour une diffusion sur l’hexagone.
Under the Dome : cloches sous vide
Qualifiée d’ « excellente » par Le Parisien (les jugements esthétiques du journal sont fiables vues sa maquette et ses photos), Under the Dome est inspirée d’un roman de Stephen King et produite par le truchement de Steven Spielberg. Autant le dire franco, ce ne sont pas des gages de qualité. La réunion de ces deux escrocs de talent ne pouvait que susciter la méfiance. Comme d’habitude avec King, l’histoire se déroule dans une ville de province majoritairement blanche et de taille mannequin ou presque (en tout cas de plus en plus au fur et à mesure que sont tués les personnages obèses, les Latinos, les Noirs, et les homosexuels). Cette communauté à l’homogénéité fantasmatique, se retrouve soudainement enfermée dans une sorte de cloche à fromage géante qui va lui donner le temps de fermenter. Ses habitants confrontés à ce mystère vont se révéler héros, victimes ou bourreaux. Alors d’accord Stephen/Steven, c’est OK pour la complexité complexe des rapports humains. Mais pas plus de 10 épisodes. Après, ça tient de l’accumulation malhonnête. Et à un certain moment, on se rend compte que ce dôme nous mène en bateau, exactement comme les personnages sont tirés d’une sous-intrigue à une autre. Jusqu’à une non-conclusion forcément décevante. On dirait Les Simpsons : Le film (2007) où la ville de Springfield est isolée du reste du monde sous un dôme, car trop polluée par Homer et son fameux cochon-araignée. On fait pas ça souvent ici mais pour économiser un long discours, on va donner une note de 5/10, mais sans l’humour des Simpsons, on descend à 4/10 puis à 3/10 parce que, à un moment ça devient n’importe quoi.
Zoo : 30 milliards d’ennemis
Partout dans le monde, les animaux sauvages et domestiques attaquent les humains de manière coordonnée et pour une raison inconnue. Soit ils en ont marre de nous, soit ils sont sous l’effet d’une substance fabriquée par un genre de Monsanto, on ne sait pas, au début. Les services secrets français (?) réunissent une poignée de francs-tireurs américains (?) pour résoudre cette crise où l’humanité joue sa place dans la chaîne alimentaire. Les adorateurs fanatiques de feu le lion Cecil se réjouiront de voir que dans les premières minutes de Zoo, ce sont les félidés qui chassent et tuent les humains. Pour entrer dans l’action, il faut quand même avaler cette couleuvre : les animaux sont devenus capables de véritables actions de guérilla. L’ensemble est une enquête scientifique et policière presque classique qui se solde par un échec jusqu’au cinquième épisode. Pour renforcer les personnages, leur vie intime est saupoudrée entre deux attaques de chiens et une conspiration de chats à grands coups de cuillère à soupe. On retrouve une ou deux tropes, comme le vétérinaire misanthrope qui aime les gens « surtout quand ils ne sont pas là« . La différence avec Dr House et Les Experts est que le meurtrier n’est pas humain. Quelques critiques ont dit de Zoo que c’était l’équivalent d’un film de série B. Ce n’est pas son seul défaut ni sa seule qualité. A signaler : carton jaune pour les scènes parlées en français-bidon, mais surtout carton rouge pour le personnage joué par l’anglais Nonso Anozie, seul héros noir hélas « encagé » (physiquement et psychologiquement) dans un stéréotype maladroit. Par prudence, ne pas regarder en compagnie d’un animal de compagnie, aussi inoffensif soit-il, les images pourraient lui donner des idées.
True Detective S2 : pour dépressifs uniquement
Alerté par le buzz causé par la première saison, nous nous sommes penchés sur True Detective, une des séries la mieux écrite et la mieux interprétée. En réalité, c’est plutôt une anthologie, au même titre que American Horror Story : à chaque saison, les personnages et le contexte changent. Les premiers épisodes de la seconde saison confirment que le succès de la série tient sur trois éléments : les comédiens, l’histoire, l’ambiance. La saison 2 est servie par un casting prestigieux, et pourtant elle n’a pas réussi à captiver autant que la précédente. Est-ce la complexité de l’histoire, sa noirceur ? Ou l’absence d’un Mathew McConaughey qui avait dans la première magnétisé les spectateurs. L’effet de surprise a disparu, remplacé par une accumulation d’acteurs parmi les plus chers sur le marché hollywoodien. C’est Quentin Tarantino, interrogé par le New York Magazine, qui parle de « comédiens canons qui font semblants de ne pas être canons et déambulant comme si toute la misère du monde pesait sur leurs épaules. C’est tellement sérieux, et ils sont si torturés, tout en essayant d’avoir l’air minables avec des moustaches et des fringues pourries« . Pas faux. Ajoutons en plus qu’ils sont bavards. Le personnage de Colin Farrell, policier alcoolique (qui ne l’est pas dans cette série ?) et moustachu, traînant derrière lui un fils obèse né d’un viol, est tout à fait symbolique de l’ambiance de cette deuxième saison. Rachel McAdams, Vince Vaughn et Taylor Kitsch complètent ce tableau de leur présence glauque. Manifestement, la série n’est pas compatible avec un climat estival au moment où nous la visionnons. Ce n’est pas l’avis de tous, et c’est tant mieux car nous vivons idéalement un monde où toutes les opinions s’expriment à égalité. Une série à garder pour l’hiver, ces moments où tout va mal et alors on peut se dire que Colin Farrell va encore plus mal que soi. Sinon la musique du générique est « sympa ».
Forever : end never or presque
Henry Morgan est médecin légiste à New York, de nos jours. La mort il connaît bien puisque lui-même meurt régulièrement, à la faveur d’un accident ou d’un meurtre. Il renaît, nu comme un ver, dans les eaux souvent glacées de l’Hudson, dans les eaux de New York ou un truc américain dans le même genre. Voilà deux cent ans que ça dure, et ça n’est pas près de se terminer comme l’indique le titre de la série (Pour toujours). Vous avez dit « Highlander » ? Vous n’y êtes pas. Harry, figé dans la quarantaine, partage sa vie avec son fils Abraham, qu’il a recueilli à la fin de la deuxième guerre mondiale à la libération d’un camp de concentration. En même temps qu’il dissimule son secret, il enquête avec une policière sur des crimes compliqués. Mais Harry affronte un ennemi encore plus fort, un autre immortel comme lui, à la différence que ce dernier est un tueur en série. Le héros est super intelligent, comme une déclinaison de Sherlock Holmes dont il a gardé l’accent britannique. Son entrain est en plus communicatif. Mais Harry n’est pas sexy, c’est un intello, et en plus il vit seul avec un gosse de 70 ans qu’il a sauvé d’un camp de concentration. En flashbacks, on nous montre comment un type qui ne vieillit pas va voir son fils vieillir. Pas de quoi affoler la ménagère de 25 ou 50 ans, et pourtant, l’alchimie fonctionne à l’écran. Forever n’aura duré qu’une saison. La mort est injuste.
The Strain : à la traîne
Guillermo Del Toro est un réalisateur-scénariste-producteur mexicain « américanisé ». Il parle du cinéma comme Scorsese, avec passion et générosité, or il en fait comme Michael Bay. Le résultat est toujours irréprochable techniquement, mais sa sincérité se perd quelque peu dans le processus. Dans The Strain, c’est en showrunner qu’il intervient pour donner crédit à une épidémie de vampirisme à New York. On retrouve deux personnages qui semblent avoir été écrits pour John Hurt et Ron Perlman, acteurs fétiches du mexicain, soit un vieux qui sait et un baraqué qui tape. The Strain se traîne réellement, le temps d’installer une ambiance. Au moins elle ne multiplie pas les personnages et les intrigues comme Under the Dome. Nous ne sommes pas super fan des maquillages des vampires, ni même du thème, mais les comédiens humains campent avec ferveur des archétypes crédibles. Un des grands mérite de la série est d’aller à contre-courant de la glamourisation du vampire qui domine le cinéma et la télévision depuis Twilight. Voilà donc une série de genre B assumé qui a passé le cap de la première saison, soit un sursis pour confirmer les espoirs que nous avons encore en Guillermo Del Toro.
Proof que tu existes
La mort, encore ! Sauf qu’ici, la « preuve » évoquée par le titre est celle de la vie après la mort. D’ailleurs, c’est marrant, ha, ha, c’est quasiment une revenante qui campe l’héroïne de Proof : Jennifer Beals vue la toute première fois dans Flashdance (1983). Cette femme médecin exerçant dans un hôpital privé ne s’est jamais remise de la mort de son fils ainé. Un milliardaire confronté à sa disparition prochaine (Matthew Modine) l’enrôle dans une enquête aux frontières du réel biologique. Sceptique comme Scully au début, elle passe vite au côté mystique comme Mulder à mesure que les raisons d’y croire s’accumulent. Ce qui est bien dans Proof, c’est l’absence d’armes à feu. Tension et mystère sont pourtant présents avec un petit je-ne-sais-quoi en plus. Ah, oui, c’est ce petit halo lumineux qui apparaît discrètement dans quelques scènes clefs pour indiquer que, oui, il y a quelque. Il y a aussi ce casting mené par deux stars des années 80, autant dire qu’il s’agit là d’une résurrection pour Beals et Modine, secondées par des comédiens eux aussi vus au cinéma. Cette série a les qualités pour s’attacher un public et durer au-delà de sa première saison. Alors logiquement, on lui sait longue vie.
Il reste encore pas mal de séries B, B+ ou B- à voir ou à éviter, notamment hors du genre fantastique et policier. Nos chroniqueurs étant déjà épuisés par ces séances de binge-watching, ils n’ont pas encore rendu littéralement, tous leurs articles. La suite au prochain numéro.