Les scénaristes français se paient Luc Besson

La Guilde des Scénaristes, principal syndicat français de scénaristes, se paie la tête de Luc Besson qui se lance dans la formation à l’écriture. 

La Guilde (dont le nom est inspiré de la puissante Writers Guild of America) s’attaque à Besson en un seul post sur sa page Facebook : la reproduction d’un texte paru sur le site « masterclasslucbesson.com » annonçant des sessions de formation à l’écriture dirigés par Luc Besson, le scénariste de « Le Baiser mortel du dragon, Banlieue 13,  Danny The Dog, Bandidas, Colombiana, Lock Out, 3 Days to Kill et bien sûr des sagas telles que Taxi, Le Transporteur ou Taken, ce dernier film étant le plus gros succès français au box-office américain de tous les temps« . Le community manager de la Guilde se permet ce simple commentaire adressé à ses 5000 fans : « Et bonne soirée à tous ! ».

Guilde Besson

Le Luc Besson-bashing (destruction, lynchage) est un sport national lancé par quelques journalistes en 1988, à la sortie du Grand Bleu, un long-métrage trop différent du reste de la production française de l’époque. Pour se défendre, le jeune auteur-réalisateur avait répondu par ce formidable argument : un film est un objet gentil, qui ne veut de mal à personne. Alors pourquoi s’attaquer à un film ? Il avait raison. Sauf que depuis, Besson a écrit ou produit pas mal d’objets méchants. C’est ainsi que le Besson-bashing est devenu populaire parmi les critiques et une catégorie de spectateurs, celle qui utilise vraiment son cerveau à 10% de ses capacités. Cette histoire de dés-amour, paradoxale car liée au succès grandissant, a commencé, selon nous, à partir du Cinquième Elément (1997). Dès cette période, l’internationalisation de la marque Besson, l’homme se défend avec un nouvel argument : « c’est un scénario que j’ai écrit quand j’avais 11 ans » et sa variante « je n’ai utilisé que 10% de mon cerveau pour écrire le scénario de Lucy ». Le contentieux avec les scénaristes français est plus profond et intime que cela (il faut remonter loin dans le temps pour analyser le contentieux qui oppose les réalisateurs et les scénaristes). Mais pour le public un peu évolué, avec tout le respect qu’on doit à la Génération Taxi, le cinéma du Besson producteur ou réalisateur et même auteur, se résume à la répétition de tropes et deux ou trois schémas dont celui de la femme enfantine mais combative et sexy, et celui de la femme enfantine et sexy protégée par un type doté de muscles et du permis B. Dans Angel-A (2005), il se permet une variation : la femme sexy protège un homme enfantin et handicapé physiquement et mentalement, en se battant, et en se prostituant physiquement – mais pas mentalement, parce que l’héroïne est un ange, une métaphore de femme plutôt qu’une super-pute sacrificielle, si tu me passes l’expression. Quant à Taken (2008) qui nous a emporté en tant que spectateurs, notre confrère Le Cinéma Est Politique n’a pas manqué de noter la quantité de stéréotypes racistes et le sexisme transportés par le film de Pierre Morel. Ne parlons même pas de Arthur et les Minimoys, apologie de la toxicomanie et de la haine de la famille justifiée par les besoins d’un scénario ciblé sur un public pré-ado supposé passer par cette phase psychologique pour se définir en tant que soi (d’où le concept de mini-moi/minimoys, forme transitoire vers un super-moi ou un Moi comme disent les psychanalystes freudiens). Pour paraphraser une réplique célèbre de Jeux dangereux (To be or not to be, scénario de Lubitsch, Mayer et Lengyel) : ce que Poutine a fait subir à la Tchétchénie, Besson le fait à l’art d’écrire.

Ironie dramatique

Luc Besson est un personnage, une personne trop complexe, pour mériter une attaque frontale sans arguments bien pesés. Car il a aussi beaucoup donné au cinéma, au public, en révélant des acteurs, des réalisateurs, en faisant travailler simplement l’industrie française et ses intermittents, en insistant sur la gratuité de l’accès à l’apprentissage des métiers du cinéma et au cinéma en général se faisant philanthrope et chantre des banlieues françaises, limite genre imam de ces quartiers morcelés ethniquement qu’il nous donne à voir dans Banlieue 13 (2004). La Guilde des Scénaristes, quant à elle, ne représente « que » 350 scénaristes, aux visages et noms totalement inconnus et qui imaginent (sous la contrainte économique et créative, sinon ils ne seraient pas organisés en syndicat) à peu près tout le reste de la fiction cinéma et télévision française. A travers ce simple commentaire « Et bonne soirée à tous !« , la Guilde fait usage de ce que les scénaristes appellent « l’ironie dramatique » : le spectateur (les abonnés de la fan page de la Guilde, les pros) disposent d’informations que les héros de la fiction (les participants de la « masterclass » de Besson) ne possèdent pas encore ou ont mal interprété (le succès de Besson est basé sur une recette apprise au collège où l’on enseigne déjà la narration par l’analyse des contes de fées).

Besson a vraiment beaucoup donné au cinéma, et la critique le lui a rendu sous forme de coups, parfois justes, puis bas, fielleux, moutonneux. Le coeur de la rancoeur ce n’est pas la réussite financière mais la transformation de l’auteur sensible en industriel calculateur voire cynique. Là, ce n’est pas la critique aigrie ou un spectateur mécontent qui s’exprime, c’est tout au moins 70% des scénaristes français qui moquent le Luc Besson scénariste et formateur de scénaristes. Alors que par ailleurs il excelle dans la mise-en-scène, dans la production, et le relationnel. Il faudra aller sur d’autres pages que celle de la Guilde ou attendre un prochain article ici-même pour aborder ne serait-ce que le rivage du Luc Besson politicien, ce terrain où le slogan du syndicat des artistes de l’écrit pour l’écran pourrait rejoindre celui de l’initiateur de la Cité du Cinéma : « raconter notre histoire ».


Publié

dans

par