Bref et plein, plein comme un cercle parfait, ce spot à l’ancienne a fait son apparition en ce glorieux mois de janvier 2014. Trente secondes pour dire un message ciselé. « A qui appartient votre journal ? » demande une voix-off tandis que défilent des pages de journaux génériques (cela pourrait être Libération, Le Figaro, Le Monde, Le Parisien) : spéculateurs financiers, publicités, bâtiment, nucléaire, armement, pharmaceutiques. Bande sonore flippante. Puis, en caméra subjective « le lecteur » lisant Mediapart sur son écran d’ordinateur. « Mediapart, seuls nos lecteurs peuvent nous acheter » assène la voix masculine. C’est bien ça, Mediapart est dépendant d’un autre lobby. Manifestement, il est contrôlé par son lectorat (et son actionnariat multicéphale dans lequel on trouve le Bruce Wayne français Xavier Niel, patron de Free-Ilyad et aussi détenteur d’un tiers de Le Monde, ndlr).
Pas de statistiques disponibles à ce jour, mais l’on peut déduire quelques caractéristiques de ce lobby à partir de cette seule publicité. C’est un lecteur conscient donc inquiet de son environnement puisqu’il s’intéresse à ces grandes questions illustrées en images. Il est actuel et actif : il tapote sur le clavier d’un ordinateur, sans doute pour écrire un commentaire ou renseigner son numéro de Carte Bleue. Il boit du thé de qualité dans une belle théière, lit peu mais régulièrement des livres soigneusement choisis et rangés sur son joli bureau. Des stylos indiquent qu’il écrit ou dessine aussi. Il y a une paire de lunettes, pas de vue, mais d’apparat, ou les deux. Au milieu un PC portable acheté chez Darty ou la Fnac à 799 euros. Le tout dans une lumière gris-cozy. On se gardera de le qualifier de « bobo », classe sociale fourre-tout fantasmatique catalyseur de toute la rancoeur de la société. Cela risque de vexer pas mal d’entre vous, mais le lecteur type de Mediapart est un homme blanc bourgeois (ou de classe moyenne) âgé de 25-38 ans. C’est la publicité qui le dit avec des images, donc c’est vrai, parce qu’en plus c’est la pub d’un journal indépendant, qui dit la vérité, pas celle que lui aurait dicté une stratégie marketing rédigée et exécutée par des pubards quelconques.
En effet, ce ne sont pas des pubards quelconques qui ont rédigé et exécuté ce magnifique spot. La pub, c’est un métier. Pour formuler son message, Mediapart fait appel à l’agence TBWA Corporate, parmi les Mad Men français depuis les années 70, absorbée en 1993 par Omnicom, aujourd’hui une entreprise en phase de fusionner avec Publicis (présidé par Maurice Levy, actionnaire très minoritaire de Mediapart, ndlr). Tout ce bazar fusionnel pèse un tiers du marché publicitaire en concurrence avec Google et Facebook, et se nourrit de tout ce que Mediapart dénonce pourrait-on dire. En réalité, il n’y pas de contradiction. D’un côté, publicité rime avec duplicité. De l’autre, le journal est cohérent avec lui-même : il ne dépend pas d’une régie publicitaire, et il entend dénoncer non pas le « système » mais ses dysfonctionnements. Il ne s’agit pas de motiver une révolution. Comme son journal, le lecteur aspire non pas à réinstaller une énième fois la nouvelle version de Windows ou Mac OS, mais à ce que son système d’exploitation fasse fonctionner son ordinateur normalement, de manière équitable par rapport au prix payé, juste. Au lieu de le voir péricliter sous prétextes de virus, adwares, malwares, et mises à jour. Tout cela nous fait, comme l’indique le contenu du journal, un lecteur qui oscille entre droite (gaulliste), centre, gauche et extrême-gauche, et toutes les nuances entre. Allez, disons que c’est un citoyen, ce mot manque cruellement dans le débat public. Il est nous est difficile de croire que cette campagne n’a pas été précédée d’une étude marketing en bonne et due forme sur les attentes de ce lecteur type qui nous est montré.
Sur ce, rappelons qu’en 2013 un chroniqueur influent de la chaîne Canal+ a publiquement qualifié les journalistes de Mediapart de « fascistes » de par leurs méthodes, tandis que ceux-ci révélaient l’affaire Cahuzac, un grand moment dans l’histoire de la psychiatrie politico-médiatique. Il faut aider cette presse courageuse, et indépendante dans les limites que lui impose son lecteur type, le mec là, dans son bureau gris-cozy dont il faudra bien le déloger un jour, au nom d’une mise-à-jour.
Mise à jour du 12 juin 2014 : correction sur la fusion Publics-Omnicom annoncée en grande pompe puis annulée par les deux parties.