La banlieue fictive où évoluent les cinq personnages n’est que couloirs, vestiaires, chiottes, quais, rues et bâtiments déserts. A part quelques éducateurs à la durée de vie limitée, des retraités en fin de course, et d’autres freaks, comme eux, il y a peu d’âmes qui vivent dans ce Londres qui emprunte à Orange Mécanique certains décors. De fait, ces djeuns condamnés aux travaux d’intérêt général transpirent l’envie d’en découdre avec l’existence. Surtout depuis qu’un orage du troisième type les a pourvus chacun d’un “pouvoir” différent et incontrôlable, voire stupide, comme celui d’agir sur toute substance lactée…
Au lieu de pouvoir, les pas si super-héros auraient plutôt intérêt à savoir. C’est à dire, prendre conscience de leur condition, de leur potentiel, de leur sexualité et/ou de leurs sentiments. D’où une métaphore drôle et crue de cette période ô combien merveilleuse et étrange qu’est la fin de l’adolescence. La peur qu’inspirent les mutants qu’ils affrontent contre leur gré à chaque épisode n’est rien comparée à la perspective de devenir un jour des adultes raisonnables, bien habillés et bien coiffés.
La série est particulièrement crue dans sa manière de caractériser les personnages, ainsi que dans ses dialogues que les amateurs de versions-originales apprécieront plus que les autres. Défiant toutes les conventions sociales et pas mal de traités internationaux sur la représentation des jeunes à la télévision, on boit, on fume, on tue, on fait caca et on fornique pas mal dans Misfits. Tout ce que l’ASBO, une loi créée à l’initiative de Tony Blair en 1998, désigne comme comportement anti-social qui pourrait faire perdre son sang-froid.
Les scénarios font le portrait d’une certaine jeunesse britannique, filles-mères, pères abusifs, overdoses, et ultra-violence : on croirait les manchettes d’un tabloïd. Les “cailleras” (loubards) d’Orange Mécanique sont cousins de ces désaxés (certains décors sont empruntés au Kubrick), et des jeunes adultes de Trainspotting. La série toute entière semble être un bras d’honneur à l’autorité, aux institutions, une ode aux valeurs amorales. Qu’on se rassure dans les chaumières, car selon l’auteur Howard Overman, Nathan, Alisha, Simon et les autres ne sont « pas des héros conventionnels mais ils restent fondamentalement bons ».
La première saison se termine quasiment sur un deus ex machina qui se transforme en fil-rouge artificiel dans la seconde. Les créateurs usent sans abuser du pouvoir de déplacement temporel d’un des personnages pour re-écrire complètement certains épisodes. En espérant qu’ils ne s’enliseront pas dans la troisième. En dépit de cette faiblesse narrative, largement compensée par l’énergie du script et des acteurs, ce mélange trash-core de Skins et Heroes va faire pâlir d’envie les scénaristes français. Channel Four avait déjà surpris en 2008 avec une mini-série de 5 épisodes, Dead Set, cocktail critique de zombies, gore et télé-réalité, impensable en France. Faut-il à ce point envier les auteurs anglais ? Et si la réalité de l’écriture télé britannique était moins belle ? Et s’ils avaient dû comme les anti-super-héros de Misfits, arracher cette liberté à une flopée d’antagonistes ?
Misfits, série créée par Howard Overman, avec Robert Sheehan, Lauren Socha, Nathan Stewart-Jarrett, Antonia Thomas. G.-B. 2009-2013.
(article publié en 2010 sur scenaristes.biz)