Qu’est-ce que c’est « le test de Bechdel » ?

Si on entend beaucoup parler du « Bechdel test » depuis un an de manière intensive sur le net, le concept lui-même est plus vieux que le web. C’est l’auteure de BD underground américaine Alison Bechdel qui l’invente involontairement au détour d’un dialogue dans sa série de strips Lesbiennes à suivre parue au début des années 80 jusqu’en 2008. Voilà ce qu’elle fait dire à l’une d’elle : « Je ne vais voir un film que s’il satisfait trois critères basiques. Un, il doit y avoir au moins deux femmes {portant un nom}… qui, deux, se parlent… et trois, d’un sujet autre que d’un homme« . Formulée sur le ton de l’ironie, la « règle » gagne en popularité sur le web à partir de 2009 grâce aux chroniques vidéos d’Anita Sarkeesian. L’idée est de mesurer d’après ces trois questions la représentation des femmes dans les fictions. Fin 2013, le test de Bechdel semble pris aux sérieux par la communauté des blogueurs au point que certains publient des statistiques très détaillées sur la production, américaine essentiellement. Ci-dessous nous reproduisons l’infographie du site Vocativ qui dresse le lien entre rentabilité au box-office et respect de la règle de Bechdel, sous-entendant que les films passant positivement le test ont plus de chance de plaire au public.

On s’aperçoit à la lecture de la liste des films auditionnés que le test ne prend pas en compte la qualité des scénarios. Certains peuvent être considérés comme parfaitement sexistes par leur propos, mais passent l’épreuve. Mama qui arrive en tête des films rentables et approuvés par le test, met pourtant en scène une jeune femme contrainte d’abandonner une vie active (bassiste dans un groupe de rock grunge…) pour devenir belle-mère de deux gamines fantomatiques. Contrairement aux journalistes de Vocativ, nous croyons que Man of Steel de Zach Snyder ne présente aucun « personnage féminin fort », toutes soumises et instrumentalisées qu’elles sont par l’intrigue menée par des mâles. Et en plus le film est un navet. Le même raisonnement conduit à exclure Gravity, qui sort totalement des clous parce qu’il n’est habité que d’un seul personnage féminin. Et si le premier volet du Hobbit de Peter Jackson ne met en scène quasiment aucune femme, il n’est pas évident qu’il présente une image de la femme négative pour autant. La frontière du « test de Bechdel » est atteinte dès qu’on décortique le discours des œuvres.

Ca ne suffit pas à freiner les militants les plus acharnés de la cause féministe et des minorités qui n’en sont pas. En novembre 2013, quatre cinémas suédois se sont appropriés le test pour classifier leurs films, probablement plus pour réaliser un coup, réussi puisque la presse britannique a retweeté l’information. Le webzine Shadow & Act propose une déclinaison du test pour mesurer la représentation des « afro-américains » dans le cinéma nord-américain. Il suffit de remplacer le mot « femme » par « Noir ». Ce film contient-il un ou plusieurs personnages non-blancs ? Ces personnages se parlent-ils ? Si oui, parlent-ils d’autre chose que d’un homme blanc ? Par « homme blanc », il faut entendre évidemment le groupe ethnique dominant dans la zone géographique où est produit le film, par exemple « ces personnages parlent-ils d’autre chose que d’un breton » si le film est produit en Bretagne.  De la même manière, le test de Russo (de Vito Russo, auteur du documentaire The Celluloid Closet) mesure la représentation des minorités sexuelles. Dans un autre registre, le test de Finkbeiner calibre la représentation féminine dans les articles de la presse scientifique. Du coup, c’est le plus précis, et le plus ironique de tous les tests anti-sexistes. D’ailleurs il fonctionne plutôt comme un guide à l’intention des journalistes de sexe masculin. S’ils veulent éviter le biais sexiste dans leurs articles, ils ne doivent pas mentionner : le sexe de la scientifique en question, le métier de son mari, son comportement avec ses enfants, l’adversité du milieu, son statut de modèle pour les autres femmes, et sa qualité de « première femme à… ». C’est noté.

On le voit donc, le test de Bechdel, de par l’engouement qu’il suscite, est sujet à une foire d’empoigne. Or, il ne peut remplacer une analyse qualitative d’un film (qui permet de conclure par exemple que Gravity est anti-féministe comme le fait Lecinémaestpolitique.fr). Il est improbable de désigner telle ou telle oeuvre comme sexiste sur la base de trois critères mathématiques. Cette popularité liée à l’essor d’internet incommode Alison Bechdel en même temps qu’elle la réjouit parce que des jeunes générations connaissent l’idée du test. Ca fait partie de l’éveil des consciences. Sur son blog, elle avoue que l’idée lui est venue d’une amie, elle-même l’empruntant à un essai de Virginia Wolf écrit en 1929 où déjà la romancière mesurait la faiblesse des personnages féminins dans la littérature. Le test de Bechdel est une plaisanterie née 60 ans plus tard dans une bande-dessinée. Le film le moins sexiste d’alors raconte l’histoire d’une femme aux mâchoires carrées, prisonnière d’un vaisseau-ordinateur qu’elle appelle « Maman » et en proie à une créature phallique qui n’a de cesse de vouloir la pénétrer. Dans ce long-métrage de 1979, on trouve deux personnages féminins actifs, qui dialoguent ensemble, et discutent d’autre chose que d’un homme. Elles parlent du monstre de Alien.


Publié

dans

par