La Troisième Guerre : peur sur la ville

La « guerre contre le terrorisme », décrétée par Manuel Valls après les attentats de janvier 2015, n’a pas de fin. Mais elle porte des noms chouettes. Dans les rues des villes de France, elle s’appelle Vigipirate ou Sentinelle.

La Troisième Guerre, premier long-métrage français de l’italien Giovanni Aloï, suit une de ces patrouilles Sentinelle, deux jeunes hommes sous le commandement d’une femme. Tous trois arpentent les trottoirs parisiens la main sur la crosse du FAMAS, prêts à dégainer contre toute menace. Prêts, vraiment ?

Déjà, la vie privée de ces soldats ressemble à un terrain de guerre déserté par ses belligérants. Léo, le plus jeune, sorte de petit homme au visage poupin (et armé…), retrouve ses parents, visiblement défaillants, à chaque permission. Hicham, le fanfaron, se prend pour un costaud parce qu’il a « fait » le Mali – alors qu’il est peut-être le plus paumé des trois. Quant à Yasmine, elle dissimule sa grossesse qui l’empêcherait de passer au galon supérieur.

Dans la caserne, les soldats au repos se livrent à des combats de virilité, jouent aux cartes et aux jeux vidéo. Et souvent, ces jeunes hommes et femmes, qu’on croirait irréprochables quand on les croise dans les rues de Paris, décompressent par l’alcool et le cannabis. Mais à force de tourner en rond, certains finissent par perdre une case.

« On est formatés pour se sentir en état de guerre. Quand on débarque en plein Paris, on voit des terroristes partout » raconte dans Le Parisien du 22 septembre 2021 l’ex-soldate Anissa Douaifia, dont l’expérience a nourri le scénario de Troisième Guerre. Elle dit aussi la frustration des soldats, à force de ne rien faire et d’errer dans les rues. Ne pouvant se substituer à la police, les patrouilles assistent aux violences quotidiennes sans intervenir. Au grand dam de la population qui récompense cette passivité par le mépris.

On ne sait pas vraiment ce qu’il y a dans ces scaphandres que sont les uniformes des Sentinelles. Bardés comme des bisounours kaki, ils avancent, visiblement protégés contre l’extérieur… ou prêts à exploser comme les terroristes contre lesquels ils luttent. Cette menace, l’autre menace, est réelle. Elle peut surgir de n’importe où, sous n’importe quelle forme. Ici, un sac abandonné au milieu des voyageurs, assez gros pour « contenir des barrettes de C4, j’ai déjà vu ça au Mali » fanfaronne Hicham. Et cet homme au comportement déjà suspect, un « simple » dealer, ou un terroriste prêt à actionner des explosifs avec son téléphone portable low-tech ? Cette lumière rouge qui clignote sous le siège passager d’une fourgonnette mal garée, c’est une bombe, ou juste une perceuse en chargement ?

Le film épouse le regard de Léo (Corvard), à la frontière de la paranoïa. « Même si les soldats sont suivis psychologiquement, cela peut conduire à des dérives » ajoute l’ex-militaire.

Aujourd’hui, Sentinelle c’est 10 000 soldats chaque jour, réservistes compris. « Faire circuler nombre de gens armés dans les rues – des militaires comme des policiers – accroît davantage le danger qu’elle ne renforce la sécurité », explique le réalisateur Giovanni Aloï dans le dossier de presse. « Plusieurs jeunes soldats des opérations Sentinelle ont perdu la vie en mission. Ce n’est hélas pas une invention de notre part.(…) Corvard, un jeune type fragile en perte de sens, est conditionné par un système qui le pousse à devenir une menace pour les individus au lieu de les protéger. »

Aloï, qui partage sa vie entre la France et l’Italie, a également remarqué que la présence militaire s’est banalisée. « Il est devenu commun que les gouvernements entretiennent leur pouvoir par la peur et justifient ainsi la présence de l’armée dans les rues ».

Comme premier film, et comme chemin faisant vers une démocratie de la peur, c’est en effet un bon début.

La Troisième Guerre de Giovanni Aloï. Capricci Films.


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