On croyait tout avoir vu en matière de terreur sur le « petit » écran. C’était sans compter sur Channel Zero et la culture web.
Ces dernières décennies années l’industrie de la peur aura tourné en rond autour de mythes fatigués. Loups-garous, vampires, sorcières, complots extraterrestres et plus tard zombies, ont fait les beaux jours de la fiction télé. Comment inventer quelque chose de nouveau qui sort de l’ordinaire et pas des feuilles usées de Stephen King ? La réponse tient en un mot directement issu de la culture web : creepypasta. Comme ce terme ne l’indique pas trop, les creepypastas sont des histoires crées sur des forums de discussion, modifiées, enrichies avec des documents (photos, vidéos), transportées par les internautes comme les mèmes. « Creepy » parce que ces histoires sont glauques et font peur. « Pasta » parce qu’elles sont copiées-collées (copy-paste) d’un site à l’autre. Un peu de la même manière que les théories du complot, c’est à dire à force de répétition, colportation et par un fort besoin de croire, les meilleures de ces historiettes deviennent rumeurs, puis légendes urbaines. Au plus fort, elles sont consacrées comme mythes. C’est le cas de « slender man » ou « homme mince », créature totalement abracadabrantesque née de deux photomontages en 2009. Et pourtant, en 2014, deux fillettes américaines du Wisconsin ont poignardé une troisième sur la supposée suggestion du slender man. Le décor de Channel Zero est ainsi planté. La série existe en deux saisons depuis 2016. La première, Candel Cove (d’après une creepypasta de Kris Straub), suit l’enquête de John, un écrivain quadragénaire qui revient dans la ville de son enfance où 30 ans auparavant a eu lieu une série de disparitions et de meurtres non élucidés. Un souvenir fort continue de hanter quelques adultes de sa génération, celui d’une série télé mettant en scène des marionnettes peu avenantes. Problème : cette émission n’a jamais existé, n’a jamais été diffusée (mais a été re-crée par des internautes). Et voilà que 30 ans plus tard, elle réapparaît sur les écrans aux seuls yeux des enfants, fascinés par son pouvoir de suggestion. Si Candle Cove semble marcher sur les traces de Ça, le récit s’en éloigne rapidement par sa structure, son ambiance et surtout par sa créature qui est au centre de toutes les peurs. Et qui n’est pas un clown.
En seconde saison, nous suivons une bande de jeunes attirés par le buzz de « la maison sans fin », une œuvre d’art contemporain anonyme qui propose à ses visiteurs une expérience hors du commun. Il s’agit de survivre, psychologiquement puis physiquement, à la traversée de chacune des pièces de cette maison qui donc n’a pas de fin. C’est surtout ici que Channel Zero explose les codes de l’horreur classique et laisse sur le carreau toutes les autres séries télévisées qui prétendent jouer des peurs primales du spectateur, y compris l’infameuse American Horror Story. Pas besoin de déverser des litres d’hémoglobine ni même d’essayer de choquer la morale bourgeoise. Les scénaristes se jouent des perceptions des personnages et par extension, des nôtres. La mise en image prolonge l’horreur psychologique grâce à de longs plans séquences qu’on dirait inspirés de Tarkovski – en moins emmerdant. Et cette fois, les créatures prennent les formes les plus variées, notamment celle, particulièrement horrible, de la paternité.
https://www.youtube.com/watch?v=xN_l6hSx5SU
Stupeur et tremblements. Pour ne pas gâcher le plaisir, nous n’en dirons pas plus sur Channel Zero, une anthologie qui renouvelle le bestiaire fantastique tout en explorant des territoires de l’horreur que les conteurs (essentiellement anglo-saxons) ont abandonné à l’ennui. Au moment où nous écrivons ces lignes, la troisième saison pointe son nez sur les networks américains. On y retrouve notamment Rutger Hauer et beaucoup de sang.
Channel Zero. Créée par Nick Antosca. Interprétation : Paul Schneider, Natalie Brown, John Carroll Lynch. Etats-Unis, 2016. SyFy.