Une bonne raison de découvrir Ralph Steadman
On 16 février 2015 by rachidouadahOn se demandait où était passé Johnny Depp et qui était le cabotin qui a pris sa place à l’écran depuis Pirate des Caraïbes. On le savait grand admirateur de Hunter S. Thompson, l’écrivain intoxiqué de Las Vegas Parano et auteur malgré lui du film Rhum Express. L’acteur cinquantenaire se fait hôte de ce documentaire consacré à une autre figure tutélaire, l’artiste-illustrateur Ralph Steadman. C’est autant Steadman que Thompson qui a donné naissance au « gonzo journalism ». Celui-ci est défini par trois principes : « dénicher un événement, s’immerger dans l’événement, devenir l’événement« . Avec pertes, fracas et force substances. Et puis ce mot d’ordre comme justificatif de tous leurs délires : « aucune raison valable » (« for no good reason« ). Sa relation haute en couleur avec l’écrivain dont il illustra les romans, est le pivot de ce récit biographique où l’on croise aussi William Burroughs, Terry Gilliam, ou le trop rare Richard E. Grant. Comme Picasso dont il s’inspire (ou Michel-Ange dont s’inspirait Picasso), Steadman ne sait pas quel dessin se trouve dans la toile avant de le découvrir lui-même. « Ca ne m’intéresse pas de savoir à l’avance ce que je vais dessiner » dit-il, tandis qu’il fait apparaître des formes sous nos yeux.
Sa technique particulière consiste à utiliser feutres, plumes, crayons, encres, peintures, traits, mélangés par divers procédés parfois spectaculaires (jets, éclaboussures, pulvérisation, souffle, etc.). Le résultat, ce sont ces milliers de dessins viscéraux et dérangeants. Au tournant de la fin des années Nixon, Steadman trouve une voie dans le dessin politique qu’il va alors utiliser « comme une arme« . Rolling Stone lui offrira plusieurs fois sa couverture, reconnaissant en lui un grand dessinateur de presse et chroniqueur de son époque. Jusqu’à nos jours où ses toiles sont vendues très cher à des collectionneurs du monde entier, au point que l’artiste finit par se demander s’il ne participe pas lui aussi à la « pollution visuelle du monde« . Comme la fin du film de Gilliam à Las Vegas, les commentaires de Steadman laissent l’impression d’une lente désillusion, ou pour employer un vocable plus approprié au personnage, comme un lendemain d’une cuite qui aurait duré 40 ans. Le temps de voir et faire naître une contre-culture et d’être le témoin de son étiolement et sa dissolution dans la culture de masse.
En s’immergeant comme un guide dans ce film sans en devenir le sujet (le comédien est présent dans 1/3 des images), Johnny Depp se met élégamment en retrait face à un de ses maîtres à penser et à boire. Aidant en cela le réalisateur Charlie Paul à éviter le ton sec et formel du documentaire classique pour en faire un objet personnel et presque luxueux, flirtant avec la fiction.
For no good reason. Réalisation : Charlie Paul. Avec Ralph Steadman, Johnny Depp, Terry Gilliam, Richard E. Grant. Etats-Unis/Grande-Bretagne, 2012.
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