Tenet était attendu comme le messie par les spectateurs et par les exploitants de salle de cinéma car il est censé drainer les premiers vers les seconds après des mois de crise sanitaire. Le protagoniste du film de Christopher Nolan, appelé “le protagoniste” (il n’a pas d’autre dénomination), doit lui aussi sauver le monde d’une apocalypse « pire que la guerre nucléaire ». L’histoire est impossible à résumer autrement, tellement elle est compliquée. “N’essayez pas de comprendre, ressentez” enjoint un personnage au héros lors d’une maigre tentative d’explication. Sauf qu’il n’y a pas grand chose qu’on puisse comprendre et encore moins ressentir. Tenet commence sur les chapeaux de roue avec une prise d’otages dans un opéra russe. Déjà, il est difficile de saisir les tenants et les aboutissants, le pourquoi et le comment dans cette cacophonie visuelle, sonore et musicale (le film brille par l’absence de thème musical fort). Et ce sera ainsi pendant deux heures et demi durant lesquelles les personnages vont s’agiter comme des marionnettes dépourvues de volonté propre, passant de braquages en braquages, de clichés de film d’espionnage en clichés.
L’inversion temporelle est au coeur de Tenet, concept avec lequel Nolan a jonglé avec brio dans son Memento il y a déjà 20 ans. Sauf qu’ici il ajoute un niveau de difficulté, autant pour lui que pour le spectateur : « Tenet » est un palindrome, un mot qui peut se lire dans les deux sens. Aussi, certaines scènes d’action sont jouées dans un sens puis dans l’autre, les personnages croisent leurs doubles temporels dans des séquences qui sont déjà/pas encore arrivées et pourtant le film s’achève sur une dernière image assez banale, loin du cliffhanger d’Inception. Comme si le cinéaste était épuisé d’avoir trituré montage et mise en scène dans tous ces sens. On salue la prise de risque intellectuelle mais on regrette d’être laissé sur la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute.
Tenet. Scénario et réalisation : Christopher Nolan. Interprétation : John David Washington, Robert Pattinson, Kenneth Branagh. Etats-Unis, 2020.