Memory: The Origins of Alien – Mythologique

Dans son apparente et fragile perfection, le film de Ridley Scott n’était pourtant qu’un carrefour. La rencontre d’idées et de personnes dans une époque et un contexte particuliers ont abouti à la création d’un mythe cinématographique. Au lieu d’attribuer Alien au génie d’un seule homme-démiurge, le documentaire a la bonne idée de disperser la paternité-maternité de l’univers-monstre sur une dizaine de créateurs. A l’origine, puisqu’il faut revenir au début, il y a Dan O’Bannon, jeune scénariste fan d’horreur et de science-fiction. Mais avant lui il y a Eschyle, Lovecraft, Francis Bacon, la SF des années 50. “Alien n’est pas sorti du vide de l’espace mais d’un héritage”. O’Bannon aimait déclarer qu’il n’avait plagié personne mais volé tout le monde, et de citer toutes ses sources à la fin des scénarios de Memory ou StarBeast, les deux premiers jets d’Alien.

Comme Alien, ce documentaire installe une ambiance mystérieuse dès les premières images. Il commence non par des interviews mais par des scènes d’ambiance, des gros plans d’insectes, une déambulation dans les ruines du temple d’Apollon en Grèce, dans les couloirs d’un vaisseau-ossuaire, et trois créatures endormies qui s’éveillent à “la puanteur du sang humain”. Ces femmes aux dents d’acier sont la représentation des furies selon la mythologie grecque, des esprits qui  torturent les vivants coupables de parricide ou matricide. Le monstre bien connu de la pop culture s’est aussi constitué de l’influence de Jodorowski, d’un semi-rêve du producteur Ronald Shusett, des suggestions et de l’interprétation de Ridley Scott, et même du mal intime habitant O’Bannon depuis l’âge de 25 ans : la maladie de Crohn, qui habite le système digestif. On découvre aussi la fragilité de l’entreprise qui aurait pu être bien différente, voire ratée, à quelques détails près. Les producteurs historiques ne voulaient pas de H.R. Giger comme concepteur graphique, “trop fou”. La forme même de la créature pour sa première apparition s’est décidée tardivement après des brouillons et des poupées ridicules.

Dan O’Bannon était le sténographe d’un récit plus grand

Il faudrait décliner ce documentaire en une série de plusieurs saisons car une heure et demie, c’est un peu court pour raconter l’origine d’un mythe moderne. On reste sur notre faim malgré et à cause de la qualité des intervenants. Sa structure est aussi légèrement déséquilibrée. La première partie se consacre à la genèse du monstre, et la seconde quasiment à la réalisation de la scène de la “naissance” du “fils de Kane”. Il y a trop de choses à dire, sur ce vaisseau qui respire de la vapeur et transpire de l’eau, et son intelligence artificielle appelée “Maman”, sur la tentative de viol sur Ripley par l’androïde Ash, sur le contexte politique et économique de l’Amérique, sur l’actualité des thèmes du film, sur l’apport créatif des protagonistes non cités car trop nombreux. D’ailleurs, le film se referme sur la veuve d’O’Bannon qui range ses dossiers sur des étagères. Sur les cartons, trop de noms et de références attirent le regard. “Dan O’Bannon était le sténographe d’un récit plus grand”, plus grand que lui et même plus grand que l’ensemble de tous les êtres humains qui ont contribué à son érection. L’histoire n’est pas terminée.  

Memory: The Origins of Alien. De Alexandre O. Philippe. Etats-Unis, 2019.


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