Dans le concert de louanges qui accompagne la sortie de Blade Runner 2049, faisons entendre notre voix discordante.
En 2049, K est un « blade runner ». Il chasse les réplicants rebelles, ces êtres humains artificiels fabriqués par la société Wallace qui a repris le métier de Tyrell Corporation. Lui-même réplicant, K va découvrir un secret capable de remettre en cause l’équilibre d’un monde déjà bien déréglé. Pourquoi pas ? Mais pourquoi, surtout. Pourquoi avoir donné une suite au film de Ridley Scott, maintenant ? Ce dernier avait pourtant refermé la porte, du moins sur l’histoire de Deckard et Rachel. « Dommage qu’elle doive mourir, mais c’est notre lot à tous » assénait en écho l’énigmatique Gaff (Edward James Olmos).
C’eut été intéressant de prolonger l’expérience et l’univers de Blade Runner mais à condition de couper le cordon ombilical avec le film originel. Ce que ne parviennent pas à faire les scénaristes. Bien que le montage prenne des libertés par rapport aux normes des blockbusters actuels le résultat final n’en reste pas moins représentatif des travers du gros cinéma de l’époque. Si on a pu dire du premier Blade Runner que contrairement à Star Wars il s’adressait à des adultes, force est de constater que ce dernier du nom ne distingue plus les publics en fonction de leur maturité supposée puisqu’il s’abaisse à pratiquer le fan service, comme Le réveil de la Force. Le fan service, comme son nom le suggère, est une pratique bien connue dans l’univers culturel geek. Il s’agit de donner aux fans ce qu’ils sont censés attendre : des citations visuelles ou textuelles d’un film précédent de la même saga ou univers. Alors si ce Blade Runner laisse une impression de déjà-vu c’est parce qu’il répète les motifs du film de 1982. Par petites touches c’est déjà agaçant mais revoir tout entier le personnage de Deckard, c’est trop. Trop car depuis le catastrophique dernier Indiana Jones, en acceptant de reprendre ses rôles mythiques, l’acteur Harrison Ford tue ses personnages l’un après l’autre. Après Han Solo, nous découvrons qu’un autre des héros qui continuait à vivre éternellement jeune dans notre imagination est biodégradable. Par ailleurs, en remettant sous la lumière le visage de Ford, Denis Villeneuve semble se joindre à Spielberg et J.J. Abrams pour répondre à cette même question : qu’a fait Han Solo/Rick Deckard/Indiana Jones/Harrison Ford pendant trente ans ? Il a pris de l’âge, voilà ce qu’il a fait.
Blade Runner 2049 aurait pu se dérouler dans l’univers de Blade Runner au lieu d’en être la suite mimétique. Oui bien sûr il y a ces images, cette musique, hypnotiques. Mais nous ne sommes pas nés de la dernière pluie radioactive. Ce bel emballage, trop référentiel pour être 2049 cache mal un discours creux, à l’image des monologues de Wallace (Jared Leto égal à moins lui-même), le gourou créateur des réplicants, et sa femme de main, un personnage réduit à un cliché hybride entre Terminator et Roy Batty. En plus d’affiches promotionnelles horriblement colorées qui laissaient présager pire, une autre grosse erreur formelle c’est la non-présence de Ryan Gosling, itération d’Harrison Ford, un comédien placide du museau. Même lorsqu’il exprime des émotions nous n’arrivons pas à ressentir de l’empathie pour son personnage pourtant pathétique à en pleurer. La poupée gonflante qui lui sert de compagne illustre artificiellement le thème de la solitude, comme si Spike Jonze déclinait son film Her qui est paradoxalement plus incarné que ce Blade Runner (tout comme Les fils de l’Homme était plus poignant). Ironie du sort ou de l’écriture, alors que c’est ce film qui a été la matrice de la culture de science-fiction des 30 dernières années, sa suite se révèle incapable de digérer son propre héritage. C’est dommage car en s’accrochant au passé, toutes les idées fortes du film se perdent dans l’intrigue et le fan service, comme les larmes dans la pluie.
Blade Runner 2049. Scénario : Hampton Fancher, Michael Green, d’après Philippe K. Dick. Réalisation : Denis Villeneuve. Interprétation : Ryan Gosling, Harrison Ford, Ana de Armas. Photographie : Roger Deakins. Musique :Hans Zimmer. Montage : .Joey Walker Etats-Unis, 2017. Sortie française le 4 octobre 2017.