Souvenez-vous – à moins que vous ne fûtes pas nés à cette époque. L’agent Dale Cooper résolvait l’énigme de la mort de Laura Palmer au prix fort : son âme. Possédé par un esprit maléfique, Bob, Cooper s’est échappé de la « Loge noire », un espace « qui oscille entre deux mondes ». Le temps s’est écoulé depuis, et celui qui désormais est désigné sous le nom de « Mr. C. » a échafaudé un complot aux tenants et aboutissants mystérieux, tandis que l’agent Cooper est resté enfermé dans la loge 25 ans. Ce dernier finit par en sortir mais pas sous sa forme habituelle puisqu’il est mentalement incapable de poursuivre son enquête mystique, errant comme un personnage de Jacques Tati dans un décor où il n’est qu’étranger.
Le mystère, c’est la marque de fabrique de David Lynch au moins depuis Eraserhead. Ce Twin Peaks ressemble d’ailleurs à une synthèse de toute son œuvre cinématographique, du moins de la partie la plus connue (il a réalisé 59 films dont un documentaire sur le groupe Duran Duran…). On y retrouve quelques motifs récurrents et les acteurs qui ont peuplé les films du Maître. Il y a dans Twin Peaks, le surréalisme d’Inland Empire, le polar horrifique de Blue Velvet, le surnaturel de Lost Highway, l’ambiance hors-norme de Mulholland Drive, le crépuscule d’Une histoire vraie, et même le mysticisme de Dune. C’est évident par l’atmosphère qui s’en dégage, mais aussi par la flopée de comédiens qui peuplent cette « troisième » saison. On retrouve ainsi Laura Dern, David Lynch lui-même, Harry Dean Stanton, Naomi Watts, Jim Belushi (qui se rappelle de la série Wild Palms ?) et bien sûr Kyle McLachlan, parmi des caméos prestigieux comme Tim Roth et Jennifer Jason Leigh. On ne peut s’empêcher de voir dans cette série comme une sorte de testament ou un baroud d’honneur avant cette fin qui nous attend tous. David Lynch a 70 ans.
Twin Peaks présente un paradoxe intéressant. La série est à la fois cryptique, ouverte à toutes les interprétations, et à tous les publics. Car Lynch n’hésite pas à introduire des moments d’humour (comme par exemple ce policier ventru et rieur, la surdité du personnage de Gordon Cole, le tempérament de celui de Naomi Watts) et des moments étranges purement musicaux. C’est une marque de générosité, le cinéaste n’oubliant pas que son public ne verse pas forcément dans l’art contemporain (le réalisateur poursuit plusieurs carrières). Mais c’est vraiment par le mystère que ce Twin Peaks (qui se déroule à peine dans dans la ville de Twin Peaks) se distingue de toutes les autres séries, y compris des chefs d’oeuvre narratifs comme Breaking Bad. Twin Peaks saison 3 (ou Le retour) présente cette caractéristique typique des œuvres d’art : qu’importe l’intention de l’auteur, ce qui compte c’est le sens que va en tirer le spectateur, et dans ce cas précis, les émotions vénéneuses qu’elle produit en lui.
Twin Peaks : The Return. Série créée et écrite par David Lynch et Mark Frost. Réalisation : David Lynch. Interprétation : Kyle MacLachlan, David Lynch, Miguel Ferrer. Photographie : Peter Deming. Montage : Duwayne Dunham. Musique : Angelo Badalamenti. Etats-Unis, 2017. Diffusion française : Canal+.