Le Message : Halloween akbar
On 24 juillet 2017 by rachidouadahLe Message, fresque de deux heures sur la vie du prophète de l’Islam est le travail du producteur Mustapha Akkad, à qui on doit aussi Halloween de John Carpenter.
« Alors, ils sont où les modérés, hein, ils sont où ? » nous jeta lors d’une discussion vespérale un confrère spécialiste du film d’horreur rencontré par hasard. Il y avait dans sa voix un mélange de peur et de reproches. Nous sommes après le 11 septembre et avant Charlie, HyperCacher, Nice… Qu’entendait-il par « modérés » ? Pour esquisser un début de réponse, et rassurer le confrère, il nous aurait suffit de réviser les classiques. Pas la Bible, ni le Coran, juste deux classiques du cinéma l’un étant très connu en occident, l’autre plutôt dans le monde arabe.
Alep, 1930. La Syrie est quasiment un territoire français. Mustapha Akkad nait dans une famille de classe moyenne qui croit que la religion et l’éducation peuvent élever les hommes. D’ailleurs à 19 ans, Mustapha s’envole, vers la Californie, dans l’espoir d’apprendre la production audiovisuelle. Il étudie dans deux des universités-clefs de l’intelligentsia américaine : l’UCLA et l’USC, usines à grosses têtes du 20e siècle. Un ancien élève, Sam Peckinpah, coopte le jeune syrien et le fait travailler sur « La horde sauvage » (1969).
En 1973, New York célèbre l’érection de ses Twin Towers. Le mot kamikaze n’évoque que la seconde guerre mondiale. Pourtant le contexte est défavorable aux musulmans à cause du conflit israélo-palestinien, du choc pétrolier, et de tous ces Cassius Clay qui deviennent des Mohamed Ali. Ca tombe très bien ou très mal, car Akkad a un projet d’ampleur biblique à placer : « Le Message », ou les 20 dernières années du Prophète Mohamed racontée en mode péplum.
Impossible à vendre, à Hollywood, ne serait-ce qu’à cause d’une particularité narrative : on ne voit jamais le héros du film ni ne l’entend, et pourtant il interagit avec les autres personnages… Et puis, la mecque du cinéma judéo-chrétien n’est pas la Mecque. « Le Message » n’est pas « Les Dix Commandements », ni « Ben-Hur ». Tant pis, c’est la Oumma qui va raquer, la Communauté des Musulmans à travers le monde.
L’université Al-Azhar du Caire (créée au 10e siècle) approuve le contenu du projet, religieusement et historiquement correct. Mais La Ligue Islamique Mondiale (créée dans les années 70) contrôlée par l’Arabie Saoudite, le recale. Par le truchement de la géopolitique, les Saoudiens font interdire le tournage au Maroc et bloquent son financement. C’est alors Kadhafi qui va payer et héberger la majeure partie de la production du « Message ». Ce détail pèsera longtemps sur la réputation du film. Pire encore, à Washington sa sortie est accompagnée d’une prise d’otages meurtrière. Le groupuscule islamiste Hanafi Black exige le retrait du film, parmi d’autres revendications plus sérieuses. Il semble que les terroristes s’étaient persuadés qu’Anthony Quinn, tête d’affiche, jouait le prophète.
Doublement subversif
Ce qui a heurté les saoudiens en 1977, et qui pourrait encore choquer même le public occidental tient dans le portrait fait de celui dont on ne peut pas tirer le portrait. Mohamed est, dans le film, accusé de répandre des « idées dangereuses ». « Des idées dangereuses ?, rétorque un de ses compagnons, Nul ne doit mourir de faim, le riche ne doit pas frustrer le pauvre, le fort ne doit pas opprimer le faible, la femme ne doit pas être contrainte au mariage mais doit pouvoir refuser ». Un gauchiste doublé d’un féministe, voilà le prophète d’Akkad. Les opposants de Mohamed, sont à l’époque, les marchands du temple de la Kaaba, qui prospèrent sur la consommation générée par le commerce de la religion et la circulation des personnes et des biens autour de la Médina. Toute ressemblance avec des régimes autoritaires arabes contemporains est loin d’être fortuite. Pour être sûr d’atteindre le public occidental comme le public arabe, il tourne une version avec des acteurs anglophones, et une autre avec des comédiens arabes. Akkad dit dans les interviews que faire ce film était une obligation, « en tant que Musulman vivant en occident », que c’était son devoir de « dire la vérité sur l’Islam » et de rapprocher « l’Occident et l’Orient ». Mais le film appelle à un sursaut civilisationnel en même temps qu’il en décrit un. Politique et prosélyte, Le Message est doublement subversif en occident, comme dans le monde arabe où il devient très populaire.
Son message douloureusement délivré au monde, Akkad se lance dans une autre entreprise l’année suivante. Avec Irwin Yablans, ils débauchent un jeune réalisateur, un ex de l’USC, pour développer un film dans lequel un maniaque s’en prend à des baby-sitters en passe de perdre leur pucelage. Ce sera Halloween, la nuit des masques de John Carpenter. C’est le « boogieman », y chuchote Jamie Lee Curtis en survivante d’une série de crimes d’horreur et d’honneur finalement. En français, le « croquemitaine » est le personnage qui sert à installer l’autorité des adultes auprès des jeunes enfants, par la terreur. Après son film sur le culte musulman avec un héros civilisateur sans visage, Akkad donne à l’Occident un anti-héros masqué qui va inspirer un culte cinématographique et changer la face du cinéma d’horreur.
La terreur et l’horreur, il les rencontre une fois en chair et en os. En 2005, il se rend avec sa fille à un mariage en Jordanie quand un croquemitaine envoyé par Al-Qaida déclenche sa ceinture d’explosifs dans le hall de l’hôtel. Mustapha Akkad meurt de ses blessures, un petit peu plus tard. Peut-être qu’il a eu le temps de penser à cette tragique ironie : il voulait transmettre un message, et il en était devenu un. On peut dire que ce type était un modéré.
Le Message. Réalisation : Mustapha Akkad. Scénario : H.A.L. Craig, Tewfik El-Hakim, A.B. Jawdat El-Sahhar, A.B. Rahman El-Sharkawi, Mohammad Ali Maher. Interprétation : Anthony Quinn, Irène Papas, Michael Ansara. Photographie : Saïd Baker, Jack Hildyard, Ibrahim Salem. Montage : John Bloom. Musique : Maurice Jarre. Liban-Lybie-Maroc-Koweit-Royaume-Uni, 1976. Sortie française le 8 juillet 1977.
Cet article s’inspire de « Nul n’est prophète », du même auteur, paru en novembre 2012 dans le journal satirique Zélium.