Made in France : polar sauce djihadiste-blanche
On 29 février 2016 by rachidouadahComme les attentats de Paris sont encore dans nos têtes et dans les corps des survivants, on s’est dit : et si on regardait « Made in France » pour se changer les idées ?
Par les yeux et le cœur d’un journaliste franco-algérien (sobre Malik Zidi), nous incrustons une cellule djihadiste en pleine région parisienne. Nous écrivons « par le coeur » car il le dit lui-même à la fin : il s’est attaché à ses « frères ». Pourtant, à part un personnage qui dévoile le pourquoi de son engagement dans le « djihad », on a du mal à éprouver une quelconque empathie pour le breton converti affublé d’un camescope et qui veut venger « les frères palestiniens », le maghrébin sanguin qui veut « fumer des militaires », et puis surtout le leader de la bande : le comédien français Dimitri Storoge (malgré son patrimoine suspect), excellent, mais son port de tête, ses épaules, sa diction trahissent une formation de comédien du conservatoire plutôt qu’un passage par une école coranique à Peshawar. D’ailleurs, sans révéler la fin, son personnage et les scénaristes nous la font à l’envers, confirmant quelques uns de nos doutes. Par ailleurs, la conclusion vient fermer le sous-titre : la menace vient de l’intérieur, peut-être du producteur du film ou des scénaristes qui ne voulaient pas pousser le réalisme trop loin.
Il reste le héros. Mais on ne le connait pas assez pour avoir peur pour lui, sa femme et son fils. S’il s’oblige à répéter en voix off, au début et à la fin, son identité et sa raison de faire, c’est pour compenser ce manque de crédibilité qui lui coûte presque la vie pendant son infiltration. Et il tient à donner une image saine de la religion musulmane, pratique dont le sujet est à peine abordé. Made in France pourtant nous le promet à travers son titre provocateur (mais il devait s’appeler L’enquête) : raconter comment ces monstres ordinaires sont sortis du ventre encore fécond de la société française. C’est donc le polar ou thriller, les genres de prédilection du réalisateur, choisis pour tenter de raconter une forme de « passion » du Christ : les derniers jours seront les premiers de ces apôtres. D’ailleurs l’anti-héros s’offre comme Merah, avant lui dans le réel toulousain un mois de mars 2012, au feu des policiers dans un geste quasi-christique – voire cliché selon les termes du cinéma américain qui raffole des références religieuses quand elles sont siennes.
Prévu pour une sortie le 18 novembre 2015, le film est condamné à la VOD depuis le 29 janvier. Car entre temps, nous avons vécu le 13 novembre 2015. La réalité a dépassé la fiction de très loin, et trop près de chez nous. D’où ce qualificatif de « polar » pour un film qui aurait du être sulfureux, sanguinaire, drogué, et délirant. On dirait ici que les auteurs ne font usage que de leurs outils habituels : des clichés de flics du renseignement (Frank Gastambide), un personnage trop pur pour être impur, et cette manière de faire parler les comédiens qui convenait très bien à Cortex (2008, même réalisateur, scénariste différent). En fait, appelons un chat un « gôt » en arabe : il n’y a pas assez de religion dans ce film, pas assez d’arabes et pas assez de sang. Il y a comme une volonté de ménager chèvre halal et choux de Bruxelles ou de Molenbeek, pour ne pas insulter la communauté-lobby arabo-onduleuse, pour ne pas susciter trop de peur ou de vocations chez le public. Alors ce « Made in France » est en réalité un film gentil. Il n’y a que la dérive sectaire de l’islam actuelle qui peut amener des êtres humains à s’exploser au milieu d’innocents. Ce n’est peut-être pas le sujet du film. Boukhrief n’ayant qu’une caméra et un stylo à thriller, il se raconte un thriller alors que les frontières du genre sont dépassées.
Made in France de Nicolas Boukhrief et Éric Besnard. Interprétation : Malik Zidi, Dimitri Storoge, François Civil, Nassim Si Ahmed, Ahmed Dramé. Photographie : Patrick Coudert. Musique : Robin Coudert. France, 2015. Sortie française (VOD) : 29 janvier 2016.