Le huis-clos salopard de Tarantino

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Quentin Tarantino tourne en rond dans son nouveau western, Les Huit Salopards.

Tous les éléments qui font le succès des films de Tarantino sont réunis pour Les Huit Salopards : le buzz, la passion du cinéma et l’esbroufe de l’auteur, les dialogues, les acteurs, la violence. En fait, il y a ce que ses fans attendent de Tarantino. Mais pour nous autres, tous ces éléments réassortis ne suffisent pas à faire un bon film. Les Huit salopards sont sortis du script de Django Unchained, d’une scène superflue dont il a extirpé la morale et l’héroïsme. Que le réalisateur ait décidé de refaire un western un an seulement après son dernier film qui était également un western, c’est un drôle de choix. Et si cela voulait dire que Tarantino tourne en rond ?

Un chasseur de primes Noir chargé de trois cadavres, ancien major dans la guerre de sécession, est pris en stop par une diligence. A son bord, un autre chasseur de primes, un Blanc rugueux, convoie une criminelle notoire. Le blizzard les oblige à faire une halte dans une auberge, un traquenard au milieu de nulle part. Alors que l’un des arguments de promotion du film était le tournage en 70 mm (pellicule supérieure en détails vs. le numérique), on a droit à deux heures dans une mercerie. Certes, la caméra donne la profondeur d’une vallée à cette cabane, mais cela reste une cabane quand même. Ce n’est pas là une faute de réalisation mais une faute de communication. On pense à Reservoir Dogs, parce qu’il y a des chaises aussi, et parce qu’il y a Michael Madsen, grossière erreur de casting : à force d’avoir usé sa moue de bad boy dans les pires navets, il ne reste plus guère que sa mèche pour interpréter quelque chose à l’écran. Il y a aussi Tim Roth, excellent, mais on ne peut s’empêcher de voir dans sa prestation une parodie de celle de Christopher Waltz dans Django Unchained. Les Huits salopards nous renvoient également à la scène d’introduction de Inglourious Bastards, mais sans juifs cachés sous le plancher. C’est donc cette même scène, allongée de deux heures, et sans la tension qui retenait les spectateurs aux lèvres de Waltz et au moindre mot écrit par Quentin, qui forme le cœur de ce huitième film.

Quand à la moitié du parcours Tarantino nous amène à attendre un détour mortel, il nous impose un entracte, soi-disant comme dans les cinémas d’antan, son « d’antan » à lui, pas forcément le notre. En d’autres termes, c’était mieux avant, et Tarantino-Eddy Mitchell-La Dernière Séance, même combat. Or, cette nostalgie est en contradiction avec la violence du cinéma de maintenant dont le même réalisateur est un des chefs de file. Un peu comme si un pornographe regrettait le manque de romantisme de l’époque. Puis, le récit s’essouffle. Alors qu’il fait déjà un usage immodéré du flashback à travers ses dialogues – indispensables pour préparer le spectateur, l’auteur ose une voix-off et une séquence entière titrée « un peu plus tôt ce matin » (entracte et voix-off étaient exceptionnellement dédiés à cette projection, renforçant un peu plus l’effet inachevé). Il faut s’appeler Quentin Tarantino et posséder une solide base de fans (c’est à dire un public dénué de tout esprit critique), pour se permettre de tels subterfuges sans être hué et voué aux gémonies. A partir de là, le spectateur acquis est condamné à accepter toutes les excentricités du maître, et l’autre spectateur, le sceptique, à attendre les scènes obligées qui caractérisent le cinéma de l’américain en espérant une gratification.

Un autre film possible

Le monde n’allait pas s’arrêter de tourner pour nous, parisiens, après la tuerie du 13 novembre 2015. Aussi, la violence de ce huitième nous a paru à la fois insupportable, souvent, et trop outrancière pour être réaliste, rarement. C’était déjà le cas dans Django Unchained, et dans toute la filmographie de Tarantino. Mais ici, le réalisateur a eu beau nous prévenir, les personnages n’ayant pas de morale, cette violence n’est pas cathartique. La violence exercée ne soulage en rien de la violence subie. C’est peut-être la seule leçon qu’on peut tirer de ce film, insatisfaisant comme un brouillon mal dégrossi. Trois éléments nous permettent d’envisager un autre film derrière cette chose. La présence maléfique façon Carrie de Jennifer Jason Leigh et les maquillages spéciaux de Greg Nicotero nous renvoient vers un autre genre. La présence de Kurt Russell (superbe prestation qu’on peut comparer sur pièce avec Bone Tomahawk, western cannibale tourné durant la même période et où l’acteur avec exactement le même physique et dans un contexte similaire parvient à produire un personnage différent), la musique extraordinaire d’Ennio Morricone, ce chalet isolé et parano, c’est The Thing, de John Carpenter. Voilà au moins trois films que Tarantino flirte avec les codes du cinéma d’horreur sans s’y adonner totalement.

Et au milieu de tout ça, deux plans sur des chevaux haletants et leurs sabots dans la neige laissent entrevoir la puissance encore d’un autre film qui aurait pu être mais que le réalisateur dilapide en gimmicks à la tarantino. Écartelé entre une vraie nostalgie pour le cinéma d’avant, et désormais le devoir de plaire à un public éternellement jeune, Quentin Tarantino est peut-être bloqué dans son propre espace-temps, incapable de changer et réfractaire au changement. Lors de la projection en avant-première qui a eu lieu ce vendredi 11 décembre dans le décor ultra-ringard du Grand Rex, deux éléments nous ont frappé. Le premier : Quentin se teint les cheveux. Second : Tarantino a une grande idée de ses dialogues, il parle de ces rares acteurs « tarantinesques » seuls capables de comprendre son rythme et son humour. Il parle de lui à la troisième personne. Nous sommes en face, ou plutôt au-dessus car nous étions dans le balcon, d’un homme en train de vieillir. Il faut l’admettre, c’est arrivé à beaucoup avant lui, aux meilleurs d’entre nous, et ça va nous arriver à tous. Nous sommes encore loin d’une chute, même si le réalisateur lui-même envisage de se retirer avant le déclin. Son cinéma recycle déjà le meilleur de la pop culture des années 50 à 80, aussi, l’inquiétude c’est de le voir se recycler lui-même, comme ici ou dans un probable Kill Bill 3. Pour le moment, même un mauvais tarantino reste un moment de cinéma.

Merci à Kdbuzz sans qui la projection n’aurait pas été possible.

Les Huit Salopards, de Quentin Tarantino. Interprétation : Jennifer Jason Leigh, Samuel L. Jackson, Kurt Russell. Image : Robert Richardson. Musique : Ennio Morricone. Etats-Unis, 2015. Sortie française : 6 janvier 2016.


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Commentaires

Une réponse à “Le huis-clos salopard de Tarantino”

  1. Avatar de maxvonthb
    maxvonthb

    bien vu l’aveugle