L’espoir déçu du cinéma fantastique américain tente de revenir dans le game avec un film de peur qui ressemble à beaucoup d’autres. Trop tard mec.
The Visit est sorti un peu trop vite par rapport à notre agenda mais très en retard selon le programme mondial. Nous avions en effet prévu un dossier conséquent sur une certaine tendance du cinéma de genre : le found footage. Shyalaman nous prend de vitesse avec ce film tourné par deux adolescents, nous fait-on habilement croire, en visite chez leurs grands-parents. Dans la forme, le réalisateur de Incassable emprunte au Projet Blair Witch tourné 20 ans auparavant. Pas très original.
Le found footage qu’est-ce que c’est ? Littéralement, found footage signifie « bobine trouvée » (métrage trouvé). L’idée est simple : le film est présenté comme un montage ou une compilation de rushs découverts par hasard ou dans des circonstances extraordinaires. Il est suggéré au spectateur que ce qu’il visionne dans la salle de cinéma, ou un soir d’errance sur la télévision ou les internets, est un document véritable et non pas une fiction. Pour accentuer ce réalisme, les prises de vues imparfaites, floues, chaotiques même, donnent l’impression d’avoir été réalisées par des amateurs. Le found footage flirte avec un autre style : le faux documentaire ou « mockumentary », qui utilise les codes du journalisme filmé. Le point commun des deux : la volonté de faire vrai. Leur différence : le premier veut faire peur, le second veut faire rire (en général) et réfléchir (souvent). De nos jours ces deux genres se croisent et se ressemblent et on aurait tendance à appeler found footage tout faux documentaire, qu’il ait été ou non perdu, que l’image tremble ou pas.
https://www.youtube.com/watch?v=lw3qdXasY54
La recherche des origines du genre est beaucoup trop complexe pour être étalée ici. Nous pourrions citer les Fictions de Borgès dont le style sème le doute (en particulier la nouvelle Tlön, Uqbar, Orbis, Tertius), mais nous nous transporterons plutôt dans l’année 1989 devant un écran de télévision. La Sept/Arte diffuse alors Les documents interdits de Jean-Teddy Philip, une compilation de fausses archives sur des phénomènes inexpliqués. Dans la programmation très expérimentale de la jeune chaîne, la fiction du réalisateur belge est perçue (par votre serviteur) comme un document authentique jusqu’à ce que Jean-Claude Carrière dévoile le pot aux roses. En 1996, ce sont deux jeunes auteurs américains qui vont provoquer un mini-séisme industriel avec leur film à micro-budget et à maxi-entrées. C’est Le Projet Blairwitch, l’histoire d’un projet de documentaire sur la sorcellerie qui tourne à l’horreur. Une horreur jamais montrée, toujours suggérée. La mise-en-scène jure avec les standards de l’époque, et surtout, le réseau Internet naissant – alors déjà soupçonné d’héberger les rumeurs les plus folles – va être l’objet d’un de ses premiers phénomène viral à travers la promotion de Blair Witch. Des vidéos postées en amont de la sortie du film ont permis de préparer le public à accepter les images comme étant possiblement vraies.
Encore quelques années plus tard, Arte récidive. Tandis que le monde bascule dans une réalité alternative par le truchement de la propagande de l’administration Bush qui veut embarquer l’Europe dans sa guerre au Moyen-Orient, en 2004 la chaîne tourne en dérision une célèbre théorie du complot. Opération Lune le faux documentaire de William Karel démontre par A+B et non sans humour, que le mythe selon lequel les américains auraient simulé la conquête de la lune avec la complicité de Stanley Kubrick est avéré. Pour ajouter à la confusion, le documentaire est présenté par un politologue de renom – Alexandre Adler, propagandiste rangé aux côtés des va-t-en-guerre américains, et tout le carnet d’adresses du réalisateur se prête au gag. Et quel carnet d’adresses : Henry Kissinger et Donald Rumsfeld jouent le jeu et appuient un peu plus le réalisme du récit imposé par d’authentiques archives et interviews. La suite des évènements (réels) démontrera qu’il y avait bien un complot, contre le peuple irakien, et que la destruction de l’Irak n’aura fait que servir les intérêts d’entreprises américaines. Quand le sage montre son doigt, l’imbécile regarde la lune. L’expérience était censée éveiller le citoyen aux dangers du conspirationnisme. Merci Arte.
Avec le faux documentaire ou documenteur, on sort du found footage mais on essaie toujours de faire vrai. Or, si le concept tombe à l’eau à partir du moment où le film est diffusé sur un réseau officiel (salle ou chaîne de télé), il reste cette main amateure et tremblante qui tient la caméra. Le style shaky cam renvoie directement aux images que les gens normaux filment avec leur caméra vidéo (et aujourd’hui avec leur smartphone). Ces images imparfaites sont donc plus réalistes que les cadres 35 mm et Technicolor du cinéma de papa et papy. En 2007, les espagnols Paco Plaza et Jaume Balaguero frappent très fort avec REC, l’histoire d’une équipe de télévision coincée dans un immeuble en quarantaine infecté par des créatures pas très catholiques. A la dimension found footage et faux documentaire, ils ajoutent le plan-séquence faisant avaler aux spectateurs le film d’une traite. Efficacité garantie. Le titre fait directement référence à la fonction enregistrement (« record ») des camescopes. L’année suivante, trois petits génies du cinéma américain (Matt Reeves, Drew Goddard et J.J. Abrams) propulsent Cloverfield : un plan-séquence à nouveau, une caméra tenue à bout de bras par des jeunes étudiants, et la destruction de New York par une créature gigantesque. Ca marche plutôt bien, et il y a même de l’émotion. Mais on frôle les limites du style : le scénario galère un peu pour justifier que les protagonistes filment constamment, au mépris de leur sécurité.
A partir de ces deux derniers films, le found footage explose littéralement. Les jeunes réalisateurs (américains – les nôtres ne daignant même pas s’intéresser à l’expérience peu soutenus qu’ils sont par les producteurs et les diffuseurs) y voient une manière de réduire le coût de fabrication d’un premier film et d’y instiller une dose de réalisme indispensable à l’épouvante et à l’horreur, deux genres dont toutes les ficelles semblaient épuisées. C’est d’ailleurs un maître de l’horreur qui leur donnent le « go » : Georges A. Romero réalise une très médiocre déclinaison de son univers de zombies avec Chronique des morts-vivants (2008). Rien ne justifie que ses héros, des étudiants en cinéma, continuent à tenir la caméra alors qu’ils sont à l’article de la mort-vie. En 2012, un autre daron du cinoche américain, Barry Levinson, s’essaie avec plus ou moins de réussite au found footage avec The Bay. Perso, on ne croit pas une seconde à cette histoire d’invasion de parasites mutants. En 2013, le found footage atteint son apogée avec une série télévisée qui reprend les codes de la télé-réalité : Siberia rassemble des candidats à un jeu de survie dans lequel on ne sait jamais si les événements sont le fruit de phénomènes surnaturels ou d’habiles trucages de la production. Elle ne durera qu’une seule saison.
On peut continuer à citer encore et encore les oeuvres qui auront marqué le found footage (et le faux documentaire). Il y a The Bomb et Punishment Park de Peter Watkins (1965 et 1971), C’est arrivé près de chez vous (Remy Belvaux, 1992), Ghostwatch (Lesley Manning, 1992), Grave Encounters (The Vicious Brothers), V/H/S 1 & 2 (divers, 2012 et 2013), hélas Paranormal Activity (Oren Peli), et aussi Redacted (Brian De Palma, 2007), End of Watch (David Ayer, 2012) et The Conspiracy (Christopher MacBride, 2013) qui se déroulent dans un univers réaliste. N’hésitons pas tant qu’on y est, à citer la pièce radiophonique d’Orson Welles, La Guerre des Mondes, et pourquoi pas Manuscrit trouvé à Saragosse (Jan Potocki, 1804) ainsi que les Contes des milles et une nuits, ancêtres littéraires du genre. Et tout au bout de cet arbre généalogique, à l’heure où les critiques sont saturés du style found footage nous trouvons The Visit. Sa seule distinction est de détourner la figure rassurante du grand-parent, sans pour autant nous faire oublier les faiblesses de son scénario. Voilà plusieurs films que nous avions perdu Shyalaman, et si sa bobine s’affiche encore dans quelques magazines promotionnels, il est de moins en moins certain que nous le retrouvions un jour.
The Visit de M. Night Shyalaman, avec Kathryn Hahn, Ed Oxenbould, Benjamin Kanes et Erica Lynne Marszalek. Photographie : Maryse Alberti. Musique : James Newton Howard. Etats-Unis, 2015. Sortie française : 7 octobre 2015.