Symphony of Science : musique de nerds
On 13 juillet 2015 by rachidouadah
L’auto-tune c’est un procédé technique qui consiste à moduler un son de façon à le rendre mélodique. Le raï algérien, du fait de l’usage d’instruments électroniques, en a été bouleversé quand il l’a découvert dans les années 80. Puis il a fait scandale dans les années 2000, entachant les performances et la réputation de certains artistes qui en ont usé et abusé, de Cher à Kanye West en passant par Britney Spears. Sans parler des parodies dont le climax fut atteint avec l’émission Songify The News, et un tas d’applications pour smartphones. L’usage le plus intelligent jamais fait avec l’auto-tune c’est Symphony of Science. En 2009, un jeune américain, John D. Boswell, compile des extraits d’émissions et de conférences scientifiques. Il ne se contente pas d’auto-tuner les célébrités anglo-saxonnes de la science moderne, il ajoute de vraies mélodies et des montages vidéos. Origines de l’univers, de l’humanité, le cerveau, la conquête de l’espace, sont quelques uns des thèmes du répertoire de cette symphonie pour la science. Le but est de faire passer des concepts scientifiques et philosophiques par la musique.
« Je ne suis pas un très bon chanteur, mais je vais faire un essai » annonce le cosmologue Carl Sagan en introduction à Glorious Dawn. Sagan est connu pour avoir animé Cosmos, une émission diffusée par la télévision publique américaine en 1980 (il est aussi l’auteur du roman Contact qui nous donna un joli film avec Jodie Foster et Matthew McConaughey en 1997). Dans les clips de Symphony of Science il se dispute la vedette à Neil deGrasse Tyson, qui est connu pour son enthousiasme communicatif et désormais comme présentateur de la version la version 2014 du Cosmos de Sagan. Il y a aussi Bill Nye et Richard Feynman, moins populaires que les précédents mais tout aussi animés par une sorte de joie enfantine qui doit être due à ce que certains savants appellent le « savoir ».
Chansons à texte scientifique
On reconnaît et admire le travail technique et artistique derrière ces remontages et mixages. Il a fallu non seulement changer la tonalité des voix mais aussi leur rythme, créer et arranger l’instrumentation, accorder le montage… Mais contrairement à l’univers, ces petits arrangements avec la musique ont leurs limites. Dans la longueur, l’usage des mêmes instruments et du même procédé fait perdre de sa vitalité à cette symphonie. De plus, elle s’écarte de sa ligne éditoriale première en faisant intervenir de manière récurrente le comédien professionnel Morgan Freeman. Et là, alors qu’on a déjà décroché musicalement on décroche aussi mentalement à cause du… ton, justement, trop professoral. Un non-sens de faire intervenir cet acteur célèbre justement pour sa voix « naturelle » en plus de ses tâches de rousseur. Alors que les interventions robotiques de Sir Stephen Hawking prennent ici une autre dimension.
Dernier bémol : aussi humaniste et précis que se veut le projet, il se nourrit des idées scientifiques en vogue. Ainsi, dans Children of Africa (Story of us), on est appelé à se souvenir que l’Humanité est sortie d’Afrique. « Ces premiers Européens, des gens comme vous et moi, ont surmonté Néandertal » : cette théorie, en dehors d’être particulièrement guerrière, est actuellement remise en question pour une autre qui laisse plus de place au compromis et au métissage. « Ces êtres d’une imagination débordante se sont éventuellement lancés avec leurs machines dans l’espace interplanétaire » après leur sortie d’Afrique, et encore, un « petit groupe« . Passant du coq à l’âne, la primatologue Jane Goodall explique que nous ne sommes pas les seuls êtres doués de sensibilité et de personnalité, il y aussi les singes. Neil DeGrasse Tyson, le seul Noir pensant de la série, lui emboîte le pas rappellant qu’une différence d’un seul pour cent de notre ADN nous sépare du chimpanzé. Retour sur le refrain devenu aussi entêtant que celui de Billie Jean : « Ces premiers Européens, des gens comme vous et moi ont surmonté Néandertal » (…) « ces êtres d’une imagination débordante« … Et pour conclure en beauté sur les mots de Sir David Attenborough : « en utilisant son intelligence naissante, le plus victorieux des mammifères a exploité son univers pour produire de la nourriture pour une population toujours croissante. Au lieu de contrôler l’environnement au bénéfice de la population, peut-être qu’il est temps de contrôler la population pour permettre la survie de l’environnement« . De sa vie passée à parcourir les coins sauvages de la planète pour les médias, la sagesse qu’il en a tiré glace le sang. Encouragés par Symphony of Science à utiliser la raison et le scepticisme, nous en sommes venus à conclure que cette « Story of us » est racontée selon un biais racialiste. En opposant maladroitement la notion d’un être humain originel africain et proche de l’animal à celle d’un homme européen moderne, elle prolonge l’idée d’une Afrique définitivement primitive, à la traîne, et qui ne fera son entrée dans le camp des « mammifères victorieux » que quand elle contrôlera sa population qu’on suppose grouillante notamment via ses flux migratoires qu’on voit mourir sur nos plages. Accordons le droit à la faute de frappe pour le frère de Richard Attenborough (le réalisateur de Gandhi, riche mégalomane dans Jurassic Park) et imaginons qu’il a plutôt voulu parler de développement durable, de maîtriser les pulsions de consommation des nations industrialisées. L’expression « contrôle de la population » continue de nous faire flipper.
A part ça, les idées propagées par Symphony of Science sont louables. Comme le chantonne Tyson (il a également sa propre émission où il croise culture pop et science) : « nous sommes tous connectés ; entre nous, biologiquement ; à la Terre, chimiquement. Au reste de l’univers, atomiquement« . C’est tout aussi bien que « Billie Jean n’est pas mon amante, c’est juste une fille qui dit que je suis le seul. Mais le gosse n’est pas mon fils, non non« .
Symphony of Science de John D. Boswell.
Les traductions des paroles de Symphony of Science sur Youtube sont signées Charles Lapointe, merci à lui.