A.L.F. : ceci n’est pas un terroriste
On 8 mars 2015 by rachidouadahUn polar intimiste s’engage pour la cause des animaux victimes d’expérimentations scientifiques.
« Les damnés de la terre » est l’expression, créée par on ne sait plus qui, et popularisée par des penseurs des révolutions post-coloniales comme le psychanalyste Frantz Fanon, pour désigner les humains sous le joug d’un oppresseur. Ici, il nous semble que « les damnés de la terre », ce sont les animaux. On les sait sensibles (à la douleur), capables d’émotion, d’intelligence, d’empathie et aussi dotés de personnalité. Ils sont une base de notre civilisation, le carburant de la révolution pré-industrielle. Ils sont, comme nous, régulièrement victimes de crimes atroces. Mais une seule chose les sépare de nous : ils n’ont pas la parole. Pas philosophiquement, au contraire, la parole, leur manque biologiquement. Dans cet A.L.F., film indépendant de 2012 de Jérôme Lescure, on suit le lent processus qui va conduire des anonymes à se faire les avocats de la cause et passer à l’acte en braquant un laboratoire d’expérimentation animale. « Braquage » : A.L.F. (pour Animal Liberation Front) utilise tous les codes du polar pour raconter une histoire profondément militante et intimiste. Il n’y manque que quelques effets de manche heureusement absents : des coups de feu, des combats chorégraphiés avec des miettes d’un budget mieux investit dans l’image et la caractérisation.
Comme si les animaux en question avaient été des enfants kidnappés par un tueur en série, le réalisateur ne les fait apparaître que par flashs, dans leurs cages, sur des tables d’opération. Il eut été trop violent, et trop « facile », d’exposer le spectateur à de longues scènes de torture. Illégal aussi, car les images montrées si brièvement ne sont pas des reproductions mais de véritables documents « empruntés » à des sources militantes. A voir le regard et le sourire de certains de ces scientifiques, qui agissent sans aucun doute pour l’intérêt général, le bien-être de l’humanité et de milliers d’actionnaires, on se demande souvent lequel est la Bête, lequel est l’Homme. Facile, l’Homme c’est celle des deux bêtes la plus sauvage et cruelle. Ces flashs pourtant brefs sont les images les plus dures à encaisser : pourquoi ces sourires sur ces femmes et hommes en blouses blanches ? Sans trop justifier son engagement, ni alourdir la charge émotionnelle de son combat, le réalisateur s’intéresse surtout à ses personnages humains. Jusqu’à même nous offrir un portrait de flic torturé entre son devoir et… son instinct. Oui, car vous devriez être au courant depuis Darwin au moins, nous sommes des animaux, biologiquement. Et quel animal que l’humain ! C’est le seul à s’être arrogé le droit de classer tous les autres en fonction de ses critères à lui. Il est capable de décider quel animal mérite d’être mangé et lequel mérite de devenir son compagnon et, si promotion possible, lequel est digne de devenir un membre de sa famille. Si on a bien compris la leçon, c’est ce qu’on appelle le spécisme : classer les animaux selon les qualités qu’on leur prête, une forme de racisme appliqué aux non-humains, les animaux « inférieurs ». Faut-il également évoquer les zoos ? Ou les chiens de ville, dits de races, reproduits industriellement, pour satisfaire la demande jusqu’à épuiser génétiquement certaines races canines (diminution de l’espérance de vie, de l’état de santé général, dégénérescence mentale précoce).
A.L.F concentre son combat sur les labos scientifiques, fournisseurs des industries pharmaceutiques et cosmétiques surtout, et l’autorité économico-judiciaire qui les protège légalement. D’où sans doute la forme policière du film. Au fond, le coupable idéal c’est nous, le tortionnaire par procuration. Le citadin lambda, celui qui veut faire plaisir à la petite ou au petitn avec lapin ou un hamster, est aussi coupable en inscrivant l’animal dans l’esprit de l’enfant comme un objet capable de se satisfaire d’une cage encore moins grande que l’écran de jeu de Minecraft. Mais… pourquoi pas autant d’empathie et d’engagement pour l’être humain, qui souffre lui aussi partout sur le globe ? Nous n’avons pas (encore) posé la question à son réalisateur. Une banalité milles fois demandée et entendue : pourquoi s’engager pour des animaux alors que l’être humain souffre déjà tellement ? Parce que Gandhi, Primo Levi, Luther King JR. ou quelqu’un d’autre dont on a oublié le nom ou déformé le propos a déjà répondu. Les idées appartiennent à tous, et celle-ci nous semble bien défendue par Lescure. C’est à la manière dont une société traite les plus faibles, ici, les animaux, qu’on voit comment elle traite le reste de sa population humaine. C’est ça l’idée.
A.L.F., un film de Jérôme Lescure et Jordi Avalos. Avec Alexandre Laigner, Alice Pehlivanyan, Jean-Pierre Loustau. Photographie : Antoine Carpentier. Musique : René-Marc Bini. France, 2012.