On vous avait promis ce court-métrage de S.-F. indé à la réalisation soignée comme un long hollywoodien. Vous pouvez maintenant le regarder en toute légalité. C’est « Flesh Computer » d’Ethan Shaftel.
Dans une Amérique post-apocalyptique vraisemblablement ravagée par une crise économique, le concierge d’un immeuble délabré bricole en secret un ordinateur à moitié fait de chair vivante. Son expérience sur l’intelligence artificielle va être fortuitement accélérée par la bêtise naturelle de l’être humain lorsque deux punks armés et alcoolisés s’en prennent à cette machine qui n’en est déjà plus vraiment une. Nous avions longuement échangé avec Ethan Shaftel, co-auteur de Suspension, un long-métrage toujours inédit en France, avant de le rencontrer à l’ECU (Festival du Cinéma Européen). Avec Flesh Computer (« L’ordinateur-chair ») qu’il réalise en solo, il aborde un thème classique de la culture de science-fiction, mais en y ajoutant une touche personnelle. Ce petit plus, ce sont les interventions parlées d’un philosophe contemporain, l’australien David Chalmers, spécialiste des théories de la conscience (voire ci-dessous l’intégralité de sa conférence TED). Il en résulte un court-métrage à la frontière de la métaphysique et de la geekerie totale. Il y a même un chat, qui nous offre le premier des moments les plus intenses de l’histoire. Le climax lui, flirte avec le Cronenberg des débuts, William Gibson, le Tetsuo de Shinya Tsukamoto, et les thèses de ce Chamlers totalement inconnu ici dans la « Comté » (au sens hobbit du terme : la France, le pays de Descartes qui était tant qu’il pensait). Nous avons passé du temps, au moins celui de cette conférence, pour humer l’essence de sa pensée. Qu’en avons nous retenu ?
La rhétorique de Chalmers est aussi difficile à aborder que le film de Shaftel est simple, parce qu’il s’attaque à un sujet d’une complexité comme l’origine de l’univers : la nature de la conscience. Il compare l’existence à « un film en train de se jouer constamment, en 3D, en odorama, avec le sens du toucher, de la douleur, la faim, l’orgasme, de la colère, la joie (…) et la voix d’un narrateur qui ne s’arrête jamais« . La conscience, c’est une anomalie au regard de l’histoire de l’Univers tout en s’inscrivant dans sa continuité, et tout comme les lois qui régissent cet univers (établies par Newton, Einstein et toute la clique), il faudrait considérer la conscience comme un élément, une brique élémentaire, une force fondamentale au même titre que la gravité ou l’électro-magnétisme. Chalmers réalise le grand écart entre science et philosophie, les seuls outils disponibles pour explorer le mystère de la conscience. « Sans conscience, nous ne serions que des robots réduits à traiter des informations entrantes et sortantes (…) la vie n’aurait aucun sens, ni aucune valeur« . Sens, valeurs, morale, c’est exactement ce qui manque aux antagonistes (les méchants) du film de Shaftel. Le test du miroir imaginé par le psychologue américain Norman Gallup démontre que la conscience de soi naît en l’être humain vers 18 mois. Moins flatteur pour notre espèce égo-centrée, certains primates, les dauphins, les éléphants, certains oiseaux et mêmes les porcs, ceux issus de classes sociales élevées probablement, passent le test avec succès. Et pourtant, aucun de ces animaux n’est capable de la cruauté délibérée dont fait preuve l’être humain dans nombre de situations. C’est ce qu’arrive à illustrer Flesh Computer, ce mal absolu qui habite certains de nos congénères (ou nous tous, potentiellement) et qui sera peut-être un jour contré par des machines-chair qui ne se laisseront pas faire.
Flesh Computer, un court-métrage d’Ethan Shaftel. Avec Rob Kerkovich, Anthony Guerino et Elle Gabriel. Photographie : Hanuman Brown-Eagle . Etats-Unis, 2014.
Sous-titres français disponibles. Attention : certaines scènes peuvent choquer le spectateur.