Terre promise, chose dure

Confortablement assis derrière un écran à regarder la violence atteindre des niveaux pornographiques : c’était notre position officielle au sujet de l’interminable conflit opposant les Palestiniens et l’Etat d’Israël. Jusqu’à ce que nous parviennent ces images des populations civiles de Gaza fuyant leurs habitations, et celles des moins chanceux, morts dans les bombardement, ou blessés à vie. Les enfants, surtout. Il nous fallait un remède, ne serait-ce qu’une aspirine pour atténuer un peu cette douleur partagée en humanité. Nous l’avons trouvé dans This Land Is Mine (« cette terre est mienne »), une animation de Nina Paley intéressée par cet endroit du monde qui n’a jamais connu la paix ni ces 60 dernières années, ni les 6000 qui ont précédé.

Nina Paley est connue pour Sita Sings The Blues, un long-métrage d’animation primé à Annecy et à Berlin en 2008. Elle s’est également distinguée par son action militante pour une culture libérée du copyright et des DRMs. Une de ses plus intéressantes contributions se nomme All Creative Work Is Derivative, un clip illustrant comment les créateurs s’inspirent mutuellement, voire empruntent les uns aux autres, à plusieurs civilisations et milliers d’années d’écart. C’est dans un style très jeu vidéo qu’elle illustre la situation au Proche-Orient. Et justement, comme dans un jeu vidéo, on voit les protagonistes renouveller et améliorer leur équipement, leurs armes, comme pour revivre cette guerre infinie pour cette terre que tout le monde proclame sienne. Cette violence va durer jusqu’à la fin des temps, si les temps veulent bien finir un jour (ou une nuit). « This Land Is Mine est une PARODIE de la chanson Exodus qui était une sorte de bande-originale du sionisme américain dans les années 60 et 70. Elle était supposée exprimer l’attachement des juifs américains à Israël. En mettant ces paroles dans la bouche de tous les combattants, je critique la chanson originale » explique Paley sur son blog.

La chanson originale vient du film d’Otto Preminger, Exodus, avec Paul Newman et Eva Marie Saint (1960). Donc rien à voir avec l’Exodus de Bob Marley comme nous le pensions tandis que nous écoutions la reprise de Monty Alexander. Quincy Jones dans ses jeunes années a également composé et fait jouer une version plus jazzy encore. Le film de Paley aussi léger et drôle soit-il ne parvient pas à nous faire oublier le drame en cours sur cette terre promise à beaucoup, donnée à si peu. « Exodus », quelque soit sa version, devrait aussi raconter la « Nakba » ou « jour de la catastrophe » comme l’appellent les Palestiniens pour ne pas oublier l’année 1948 où un million de palestiniens durent quitter leur pays pour laisser la place aux nouveaux-nouveaux arrivants. Curieusement, la Nakba et « The Exodus Song » n’ont jamais été associées, peut-être parce que la première parle d’une fuite, la seconde d’un retour. This Land Is Mine a été créé en 2012, à un moment où déjà, encore, Palestiniens et Israéliens essayaient de se détruire mutuellement. Malheureusement, comme dit Paley, en juillet 2014 sa vidéo « est de nouveau virale, à cause de l’horreur récente ».


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