La pub crossmedia dépasse les bornes (NextInpact)

Le héros de la marque Orange dictant ses ordres "fun" aux journalistes (photo : Melty.fr).
Le héros de la marque Orange dictant ses ordres « fun » aux journalistes (photo : Melty.fr).

PCInpact et Arrêt sur Images ont publié une enquête en novembre 2013 sur une opération de publicité qui dépasse les bornes de la déontologie.  Ou comment la « publicité native » va achever la presse.

« Maurice, tu pousses le bouchon un peu trop loin » disait un personnage de publicité qui a marqué la culture collective parce que le petit garçon qu’elle mettait en scène était trop mignon et admonestait son poisson rouge. Ca c’était avant, quand la publicité se contentait d’opérer des inceptions dans l’esprit du consommateur entre deux temps de cerveau disponible. NextInpact et Arrêt sur Images tirent la sornette d’alarme en enquêtant sur les complications d’une campagne de pub de l’opérateur Orange, encore lui, parue en fin d’année dernière. L’agence Marcel (dont le nom fait référence à Marcel Bleustein Blanchet, fondateur historique de Publicis), a conçu une grosse opération de communication crossmedia : affichage, spot télé et radio, intersticiels, bannières, partenariats, websérie, réseaux sociaux, liens sponsorisés, et publi-rédactionnel, etc. Tout irait très bien dans le meilleur des mondes si les partenaires presse de l’opération s’étaient tenus à leur rôle de journalistes plutôt que de servir la soupe à l’opérateur par bols de 10 litres.

Parmi ceux qui ont poussé le bouchon trop loin, il y a Libération qui a consacré sa rubrique portrait, en dernière page, au personnage de la pub joué par le comédien Gunther Love (connu pour son élasticité en Air Guitar et accessoirement compagnon de l’animatrice drolatique Daphnée Burki). Il y a eu aussi le webzine Melty – dont le slogan « Le média de la génération Y/Y for Young » nous a toujours fait marrer – qui publie une interview fictive de Gunther.  « Ce n’est pas du publi-rédactionnel, j’insiste vraiment là-dessus, s’est défendu Alexandre Masch, PDG de Melty. C’est du native advertising. On ne vend à aucun moment la marque Orange ou les offres de l’opérateur. On fait des interviews de personnages fictifs parce que ça nous fait marrer. C’est effectivement dans le cadre d’une campagne publicitaire qu’Orange nous achète, mais on l’aurait surement fait même sans ça. C’est fun, ça correspond bien à notre ligne, ça nous fait marrer et nos lecteurs aussi. » Lol comme disent les jeunes. Il y a quelques mois, le groupe Melty avait lancé une grande opération de communication destinée à dénicher parmi la jeunesse français, « les Zuckerberg » de demain. Le même, se vante d’utiliser son propre algorithme « qui sert à détecter les tendances qui parlent aux jeunes. Nous les abordons donc en approfondissant les sujets » (interview donnée à Lepetitjournal.com, en juillet 2013).

Quand avons-nous affaire à de la communication et quand avons-nous affaire à de l’information ? Ce mélange existait à une époque et s’appelait du « publi-rédactionnel » : une mention claire et une mise en page légèrement différente laissait apparaître le but d’un simili-article payé par une marque. Mais avec le développement de l’internet et l’affaiblissement économique général de la presse, c’est difficile à dire même après avoir fait le tour des acteurs du métiers concernés par la déontologie de la publicité, déclare le journaliste de NextInpact qui parle alors de « clarté à géométrie variable« . Bien entendu, les publicitaires poussent le bouchon souvent trop loin, mais c’est dans leur nature irréprochable, c’est leur métier. Ce serait comme reprocher à des requins de bouffer des surfeurs imprudemment aventurés dans leur habitat naturel, l’océan. S’il faut retourner un doigt accusateur vers quelqu’un, c’est vers cette presse qui a décidé qu’elle ne vivrait pas de la qualité ou de l’audace de son contenu, mais par la quantité de son audience. Et c’est aussi ta faute à toi, oui toi, le lecteur, tellement habitué à cette culture de la gratuité, toi, si volatile, et si beau à la fois, si libre, comme un vrai surfeur traversant un tube, qu’aucun modèle économique pérenne n’arrive à retenir. Les gourous de la comm’ appelle ce type de publicité « native advertising », ou « publicité native » de sorte qu’elle soit reconnue comme de l’information, ou au pire, du divertissement « fun ». Les journalistes devraient l’appeler par son vrai nom : « la stratégie du coucou ». Pondre ses oeufs dans le nid d’une espèce voisine, attendre patiemment l’éclosion et enfin expulser la couvée légitime, se faire nourrir à la becquée par les parents abusés, grandir et s’en aller recommencer le cycle plus loin. La nature trouvant toujours son équilibre, les espèces parasitées par Cuculus canorus et ses cousins, ont inventé des stratégies de défense en pondant des œufs suffisamment variés pour les distinguer des imitations du coucou, ce dernier adaptant à son tour l’apparence des siens. Une vraie guerre de l’information, qui comme les espèces concernées, n’est pas prête de s’éteindre.

A lire sur NextInpact et Arrêt sur Images.


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