Jobs – Au pays des aveugles, le borgne est ROI

Un esprit riche comme Jobs, par Ashton Kutcher.
Un esprit riche comme Jobs, par Ashton Kutcher.

L’hagiographie consacrée à Steve Jobs ne raconte pas vraiment la vie d’un génie, mais plutôt comment un être normalement intelligent a réussi à émerger au-dessus de la médiocrité de ses contemporains. Enfin, c’est ce que sous-dit la bande-annonce.

Les séquences se succèdent dans l’ordre suivant : comment Steve s’est découvert une passion pour l’informatique, comment il a crée Apple, comment on lui a mis les bâtons dans les roues, comme il est revenu dans la course et comment il a triomphé avec l’iPod. Un léger malaise accompagne ce second trailer. D’abord il y a la plastique : les personnages secondaires sont petits, moches, nerds, ahuris, vieux, voire parfois asiatiques. Tous les acteurs semblent avoir été arrangés pour être ridicules sous leurs perruques, sauf Ashton Kutcher. Le beau gosse de service incarne un Jobs sexy et charismatique. Pour les besoins de la promotion, le jeune acteur communique sur la préparation de son rôle non pas sur Facebook où il compte plus de 15 millions de fans, mais sur Quora, une sorte de réseau social où l’on partage la connaissance plutôt que ses photos de vacances (le site connaît un équivalent français appelé Gozil, ndlr). La personnalité du héros de ce biopic est si écrasante qu’on ne veut même pas savoir qui en est le réalisateur et l’auteur.

User friendly

L’instant clé dans cette « légende américaine« , c’est moins le moment ou Steve embrasse une femme que la co-création d’Apple, dont le logo symbolise l’exploit presque prométhéen de Jobs. Comme dans une BD de Marvel ou un conte, il s’est dressé en héros contre un super-méchant appelé « Big Blue ». C’est IBM (Industrial Business Machines), qui a répandu l’ordinateur impersonnel dans les entreprises, et a aussi aidé les nazis à tenir leur morbide comptabilité – une autre légende américaine beaucoup moins glorieuse. Il fait vaciller le mastodonte avec une souris et une interface graphique. Jobs a compris les besoins des usagers, dont il faisait partie, et en utilisant toutes les technologies pré-existantes, il parvient à mener ce qu’on appelle une « révolution » : renverser un pouvoir en place, en général sclérosé et conservateur. Cela ne s’est pas fait sans la résistance des fabricants de logiciels et de machines, qui ont vu la menace avant l’innovation. Les vies de Jobs et de son double numérique Apple sont jalonnées d’échecs : des produits mal conçus ou trop en avance sur leur temps, c’est à dire mal conçus. On ne peut pas parler d’un visionnaire, plutôt un homme normal qui a été à l’écoute des utilisateurs, et qui a essayé, essayé encore, et a réussi.

Qu’est-ce que Steve Jobs a réussi exactement ? Oui, il nous a affranchi d’une servitude certaine à la machine de Big Blue. Mais dans la dernière partie de sa vie, celle durant laquelle il se fit connaître du grand public, il est devenu le monstre qu’il a combattu. En créant le triumvirat iTunes-AppStore-iPhone, talonnant les titans Google et Facebook, Apple a relancé de plus belle la machine à comptabiliser l’humain. Libérée d’IBM, l’humanité s’est de nouveau retrouvée prisonnière d’une « device » magique, totalement user friendly, une sorte de lampe d’Aladin. Tactile, on la frotte, et on peut alors réaliser trois vœux illimités : acheter, mettre à jour, acheter. Dans la finance internationale on appellerait ça un ROI (un retour sur investissement). Pour la légende, on gardera que c’était vraiment une idée de génie. Sortie française : 21 août 2013.


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