Passé presque inaperçu en 2012, voici un thriller psychologique ultra-mature et référencé, d’un réalisateur en passe de devenir « bankable ».
Quelque part dans l’Italie des années 70, un ingénieur du son britannique et coincé débarque au Berberian Sound Studio pour enregistrer la bande son d’un film d’horreur. « Pas un film d’horreur, un film de Santini » précise le réalisateur « Vortex Equestre ». De ce film dans le film, on n’entendra que les dialogues et les bruitages que Gilderoy, l’anti-héros au visage de chérubin vieilli, va créer à partir de rien : chaires déchirées, crânes fracassés et autres outrages indicibles sont simulés devant le micro à l’aide de fruits et de légumes découpées, écrasés, jetés, cuits, le tout sur les hurlements d’un casting féminin pluriel. Peu à peu, dans une ambiance et un rythme presque lynchiens, le pauvre Gilderoy bascule dans le bizarre.
Dès le début, la présence même de l’impeccable Toby Jones (habitué des seconds rôles dans Harry Potter, La Taupe) impose l’illusion et la tonalité seventies pour l’ensemble du film. Mais on est surtout impressionné par la maîtrise de l’ensemble. Le metteur en scène est aussi esthète, de l’image, du son, et il connait ses classiques. Berberian Sound Studio est un superbe hommage au giallo, un genre d ‘horreur italien qui eut son heure de gloire à la même époque à travers des réalisateurs comme Dario Argento ou Mario Bava. Ici, sans verser la moindre goutte de sang, on glisse dans le thriller psychologique, l’inquiétant. Ce n’est pas sans rappeler Blow Out de De Palma, mais aussi Le locataire de Polanski. Sans parler de l’extraordinaire bande-son qui accompagne les images. Qui a pu faire un film pareil, capable d’emprunter à tous ceux-là et garder quand même une personnalité propre ? Un parfait inconnu de 40 ans, Peter Strickland. Il est aussi le réalisateur du jamais vu Katalina Varga, distingué d’un Ours d’argent à Berlin en 2009. Bien sûr, ce deuxième long-métrage n’est doté d’un casting de stars, et ne contient pas de poursuite en voitures dans les rues de Rome ni aucun super -héros masqué. Il demande un peu d’implication de la part du spectateur, un peu comme toute oeuvre d’art normalement constituée. C’est lent, déroutant, obscur, et surprenant.
Plusieurs festivals de renom ont décerné un prix à Berberian Sound Studio, et le Guardian a salué en Strickland « l’émergence d’un cinéaste-clé de sa génération« . Sauf que Strickland est à peine moins âgé que Christopher Nolan, un autre réalisateur britannique « de sa génération », qui un peu plus tôt avait interpellé son monde via un premier film pas évident, Following (1998). Peut-être qu’en lui injectant quelques millions, des scènes de poursuite en voitures et des super-héros masqués, Strickland deviendrait le réalisateur sur qui l’industrie pourrait compter. Ce n’est pas le chemin qu’il semble prendre puisque son prochain film Le duc de Bourgogne pourrait s’inscrire dans une veine au moins aussi underground que ce huis-clos italo-britannique. Bref, selon la formule consacrée, retenez-bien ce nom : Peter Strickland.
Berberian Sound Studio, de Peter Strickland, avec Toby Jones, Tonia Sotiropoulou, Susanna Cappellaro, Cosimo Fusco. G.B., 2012. Sortie française : 3 avril 2013.