Les bons sentiments de Quentin Tarantino

Quentin Tarantino et Sally Menke en 2007 (Kevin Winter/Getty Images).
Quentin Tarantino et Sally Menke en 2007 (Kevin Winter/Getty Images).

Tarantino est capable d’éprouver des bons sentiments, et même de les exprimer, notamment pour Sally Menke, son ex-monteuse attitrée.

On ne connaît Tarantino que par ses films, son visage anguleux, et quelques interviews que nous n’avons pas menées. A force d’images violentes et de personnages passablement énervés on pourrait douter de sa capacité à éprouver des sentiments chauds, comme l’amitié ou la reconnaissance. C’est un préjugé à dépasser. Tarantino aime Sally Menke qui a monté tous ses films jusqu’à Inglourious Basterds. Pendant le tournage de celui-ci (et aussi sur celui de Grindhouse), il a demandé à ses acteurs et techniciens de saluer de temps en temps Sally, qui allait se farcir des heures et des heures de rushs souvent « toute seule dans son bureau de Los Angeles » et peut-être pire encore, en tête-à-tête avec lui. La monteuse découvre ces billets doux au hasard du dérushage. Pour le spectateur, c’est l’occasion unique de voir des images brutes et enjouées des coulisses d’un grand film. « Salut Sally » devient un gimmick, une blague récurrente qui permet aux comédiens et techniciens de décompresser, voire de conclure une scène ratée. Et pourtant, cette petite facétie qu’on peut voir dans certains bonus video n’est pas un bêtisier. C’est un hommage.

Ce qui rend un peu plus émouvant ces rushs, c’est que Django Unchained qui sort en janvier 2013 en France, est le seul film de Tarantino à ne pas être monté par Sally Menke. Elle disait que les monteurs sont « les héros des films » mais des héros invisibles. Après avoir monté Les Tortues Ninja de Steve Barron (un film indispensable à tout cinéphile), on lui soumet le script de Reservoir Dogs. Elle disait y avoir trouvé la même verve que chez Scorsese qui lui aussi travaillait au montage avec une femme, Thelma Schoonmaker. Le public doit à Sally Pulp Fiction, dont la structure narrative appelle tout autant que le montage au chef-d’oeuvre. Le public lui doit tous les tarantinos, et Tarantino lui doit tout. La raison de la récente rupture entre la monteuse et le réalisateur ? Rien de très people : le 27 septembre 2010 son corps est retrouvé au fond d’un ravin. Sa mort est attribuée aux conséquences de la canicule qui sévit alors dans la région de Los Angeles. Une mortelle randonnée, en fait.

« Quand j’ai fait mon premier film, raconte Tarantino dans un documentaire sur le montage (The Cutting Edge: The Magic of Movie Editing de  Wendy Apple et Mark Johnathan Harris) , la seule chose dont j’étais sûr était que je voulais une femme comme monteuse. Parce j’ai senti que ça pouvait nourrir le film, et me nourrir moi-même. Elle n’essaierait pas de me combattre au nom d’une ambition quelconque. (…) C’était le boulot de Sally de me convaincre de couper, couper, couper… tout en gardant du sens et du fun, et sans que ça me soit douloureux« . Pour Django Unchained sorti le 16 janvier en France, c’est Fred Raskin qui s’y colle, ancien assistant de Sally sur la bilogie Kill Bill mais aussi monteur de Fast and Furious 5. Comme l’a dit un cinéaste qui était Chris Marker ou Alain Resnais, plus que jamais le montage est l’art de l’abandon. (via Indiewire)


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