Le dernier Ridley Scott est si mauvais qu’il se dit ? Oui. Va-t-il rentrer dans les annales ? Peut-être. D’où venons-nous et quel est le sens de la vie ? Oui.
Les noms d’oiseau ont fusé à la rédaction. Certes, le space opera qu’on ne pouvait pas manquer est unanimement considéré chez nous comme une belle daube. C’est la présence ou non du point d’interrogation dans le titre de cet article qui a fait débat. « Prometheus, navet spatial » ça ne veut pas dire la même chose que « Prometheus, navet spatial ?« . Au-delà du jeu de mots facile, Prometheus est un navet assez spécial. Démonter le scénario, démontrer l’inconsistance des personnages, crucifier la thèse créationniste du réalisateur, pester contre le prix du billet et le temps gâché multiplié par le nombre de spectateurs… Non. Rien de tout ça ici, puisque d’autres s’en sont chargés avant nous. Chaque film est une énigme ouverte, celui-ci en est truffé.
Quel est le sens de tous ces symboles religieux ? David est-il doué d’une âme finalement ? Vickers est-elle un robot ? Et surtout : comment gâcher un grand film potentiel alors qu’on dispose de tout le matériel narratif, artistique, technique et financier pour ne pas rater ? Aurélien Ferenczi explique sur son blog que Prometheus souffre de sa structure en série qu’il doit à un des scénaristes, également co-auteur de Lost. D’où une quantité de trous noirs dans l’histoire condensée en 1h30, trous noirs narratifs dans lesquels les fancritiques les plus illuminés comme les plus lumineux se sont engouffrés. Alexandre Poncet, du magazine Mad Movies, rappelle que « ce qui dérange aujourd’hui la plupart des spectateurs reproduit ironiquement à l’identique la formule du premier Alien, qui se gardait bien lui-aussi de fermer tous les tiroirs de son obscur récit« .
Damon Lindelof, auteur de la version finale de Prometheus, est aujourd’hui sans doute le scénariste le plus haï dans le cyberespace où personne ne veut l’entendre crier. Son prédécesseur, John Spaihts co-signa un médiocre film d’horreur (The darkest Hour) et un scénario jamais produit et pourtant célèbre (The Passengers, dont le titre apparait dans la fameuse Black List), avant de composer avec des contraintes de malade imposées par Ridley Scott pour écrire la première version de l’histoire. Prometheus devait se raccrocher à l’univers d’Alien, sans vraiment le dire, servir la thèse créationniste du réalisateur, et tant qu’on y est, inclure une scène où deux vaisseaux explosent l’un contre l’autre vers la fin, une astronaute en sous-vêtements et un robot à la tête coupée. Cet imbroglio créatif est palpable à l’écran et se traduit symboliquement par le foisonnement de créatures mutantes et inabouties qui défilent les unes après les autres, toutes engendrées par une matière noire et visqueuse, le venin du désaccord artistique sans-doute.
Le site américain Filmschoolrejects fournit des extraits d’une précédente version du scénario avant les retouches de Lindelof et d’autres encore qui ont du intervenir sur le tournage même. Aussi sûrement qu’un bon bonus DVD, des dialogues coupés éclairent les motivations des personnages. Le plus intéressant d’entre eux, l’androïde, figure incontournable de la saga Alien, gagne en épaisseur. Le comportement stupide de certains autres trouve une raison. Rien ne vient sauver en revanche le film de l’impression donnée lors de la première projection. Un vaste gâchis de superbes visuels. Et pourtant, nous prenons le pari que Prometheus va durer dans le temps. Grace à un procédé simple, inventé malgré lui par Ridley Scott (mise à jour du 25/11/13 : ce serait plutôt Kubrick depuis son 2001 et Shining).
Le net, bonus DVD infini
Prometheus est la suite de Blade Runner. Mais dans la catégorie des films à discussion. Des années durant, les versions de Blade Runner se succédant, le public et les fans ont tergiversé sur des éléments laissées en jachère. Quel est le sens des citations de Rutger Hauer ? Ford/Deckard est-il un réplicant ? A sa sortie, le film de Scott laissa des critiques et des spectateurs un peu froids, et cela ne s’arrangea pas toujours avec les 7 montages qui suivirent. Qui se rappelle de la voix-off d’Harrison Ford ? Il en va peut-être de même pour Prometheus, internet agissant à son habitude comme un genre de loupe et d’accélérateur. 2012, c’est pas 1983. Les discussions autour de Prometheus dureront-elles le temps d’un buzz jusqu’à après la sortie du film, ou bien vont-elles continuer ad vitam aeternam ? Après avoir chauffé la salle via une belle campagne de bandes-annonces et de films viraux, après l’avoir déçue, le film peut continuer de vivre grâce aux débats passionnés qu’il suscite sur la toile. Les agences de RP ne se croisent pas les bras pendant que les internautes font leur travail, elles les abreuvent via un site web communautaire, Facebook, et Twitter, d’informations ou rumeurs qui prolongent l’univers du film et nourrissent, comme dans un cercle vertueux ou vicieux, les conversations, au moins jusqu’à la sortie d’un Prometheus 2 ou 3 qui enfin apporteront les réponses aux questions laissées en suspens blablabla. Le vrai bonus DVD c’est le net, un support illimité en durée, en quantité et en contributeurs non rémunérés.
Et, fait rare, c’est la première fois que la presse et le public se retournent de concert contre les scénaristes d’un blockbuster, alors qu’ils les célèbrent encore plus rarement. A l’instar de leurs personnages Lindelof et Spaihts semble s’être offerts (ou être offerts) en sacrifice à une foule déchaînée. Dans un tel système, on peut envisager que les « fuites » du scénario original qui circulent ces dernières semaines en même temps que la sortie vidéo, fassent partie d’un vaste plan de communication visant à perpétuer la notoriété d’un film qui n’est ni vraiment bon, ni vraiment mauvais (quoique très mauvais souvent), juste raté. Un peu comme toutes ces différentes versions de Blade Runner, sauf le director’s cut (dernière version) bien sûr. Au fait : Deckard est un réplicant.