Omar Sy, « Nègre Magique » de The Untouchables
On 1 juin 2012 by rachidouadahLe public et la critique nord-américains ont réservé un accueil en demi-teinte au blockbuster français avec Omar Sy, comme l’atteste Shadow & Act le webzine du cinéma noir de peau.
Les Etats-Unis sont une terre de paradoxes. Par exemple, ils cumulent dans le même espace-temps un premier président afro et des crimes raciaux perpétrés contre des minorités qui n’en sont plus. La « race » justement (ou l’origine ethnique à replacer dans un contexte socio-économique) n’est pas ce tabou qu’on connaît en France. La parole ainsi libérée, la discussion arrive sur des terrains que nous, les ouest-européens, n’osons pas explorer publiquement par manque de témérité ou par pudeur. Pour le webzine Shadow & Act, la première réaction à la sortie de la projection c’est l’absence de réaction, l’apathie. Là-bas, on connaît trop bien l’archétype du « Nègre Magique » que joue Omar Sy. On peut remonter très loin en effet dans la cinématographie américaine, on continuerait de trouver un personnage noir « toujours souriant » qui change positivement la vie d’un personnage blanc tristounet et qui lui est en tout point opposé. Le public français peut déceler dans l’histoire d’Intouchables les échos d’innombrables comédies dramatiques américaines dont 48 heures, La Légende de Bagger Vance, Miss Daisy et son chauffeur, Six degrés de séparation, Un fauteuil pour deux, Les Blancs ne savent pas sauter, Men in Black, Bronx à Bel Air, Hancock, voire même Arnold et Willy…
Shadow & Act remarque la symétrie des caractères : le blanc est riche, sophistiqué, institutionnel, arrêté dans ses idées sa position sociale et même physique, tandis que le noir est pauvre, débrouillard, transgressif, élastique, hâbleur, « et salace bien sûr« . Et de noter un autre poncif dans l’inévitable scène de la catégorie « apprendre à danser à un blanc sclérosé » avec Sy en « voyou à costard« . Pour le journaliste américain engagé, Intouchables est une régression dans la représentation des Noirs à l’écran. « Une partie du film essaie de montrer le contexte socio-économique français actuel. Et dans ce contexte, le film n’est pas du tout raciste » se défend Omar Sy dans un tchat accordé au même journal.
Réalité anthropologique
Les réalisateurs ont toujours levé le bouclier de la sincérité contre les attaques de ce type. Le film ne peut pas mentir car il est tiré d’une histoire vraie qu’ils disent. Il y a pourtant un élément entièrement faux : Omar Sy. Le critique américain remarque que le protagoniste de l’histoire originale est algérien. Pas con, il se dit que les relations entre les pays respectifs (Sénégal et Algérie) et leur ancien maître la France ont été très différents, et que les algériens n’ont pas la même couleur de peau que les sénégalais, ni la même culture, ce qui est loin d’être un point de détail de l’histoire comme dit l’autre. Heureusement pour le scénario, les noirs et les arabes partagent des points communs : ils fument de la drogue, écoutent de la funk et aiment les grosses cylindrées. Ca suffit pour caractériser un personnage. Mais toujours persiste cette question : pourquoi ce décalage de casting ? Et d’envisager le futur remake hollywoodien : pour refléter la réalité, le personnage de Driss devrait être joué par un acteur d’origine mexicaine. Mais pour s’adapter au film de Nakache et Toledano, il pourrait être black. Weinstein qui distribue le film aux USA sur quelques rares écrans (une stratégie, paraît-il, qui est un échec au regard des chiffres dix fois supérieurs de The Artist dans la même configuration) aurait annoncé Colin Firth (Le discours d’un roi, Un homme seul) pour jouer le « cul blanc » comme dirait Eddie Murphy, ou Chris Tucker, ou Chris Rock, ou Martin Lawrence, ou Will Smith.
Un fauteuil pour deux (1983).
La représentation des noirs dans le cinéma : d’un côté ou l’autre de l’atlantique, il n’y a pas de quoi être fier selon Shadow & Act dont l’existence même est une preuve d’un état de l’art problématique. Mais avec ce feel-good movie (« film pour se sentir bien », anti-thèse du cinéma d’auteur noble, dépressif et égotique, ce genre déclenche d’incroyables polémiques hexagonales, par exemple : Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, Bienvenue chez les Ch’tis), les français ont l’air de continuer de courir après la culture de masse américaine, toujours avec 10 ou 20 ans de retard. Et nous sommes en 2012, le président des Etats-Unis s’appelle Barack Obama.
Bronx à Bel Air (2003).
Plus encore aujourd’hui, Intouchables renvoie aux Noirs américains une image catastrophique de la diaspora franco-africaine. Le rôle occupé par Omar Sy aurait-il pu ou aurait-il du être joué par un acteur maghrébin ? Aucun contrat n’impose de racialiser les histoires sauf quand la notion de race y joue un rôle prépondérant. Il n’y a pas de règles en la matière sinon celles éternelles du commerce. Si ce personnage a été attribué à Omar Sy, c’est probablement parce qu’aucun acteur maghrébin n’est capable de rassembler autant de spectateurs autour de son seul nom. Mais tant qu’à faire… pourquoi le personnage du jeune chômeur un peu loubard n’est pas tenu par un acteur blanc populaire genre Fred Testot ou Jérémie Renier ? Pour une spectatrice française à la sortie d’une projection, la réponse est sans appel, et tellement révélatrice d’un cliché persistant dont il faudra bien un jour décider de sa réalité anthropologique ou de son caractère raciste : « la scène de danse sur Earth Wind & Fire, il n’y a qu’un Noir qui pouvait la jouer comme ça« .
Bonus : la blanchitude selon Weird Al Yankovic.