Avengers ou le triomphe de la génération « Do »

Les protagonistes d'une websérie parodique inspirée d'Avengers.
Les protagonistes d’une websérie parodique inspirée d’Avengers.

Pour une fois, le spectacle n’est pas seulement sur l’écran mais aussi dans la salle et partout ailleurs. Le succès du blockbuster « Avengers » marque le triomphe de la génération dite « adulescente ».

Les adulescents, dont les journaux ont fait un pataquès au début des années 00, sont une génération d’adultes dont on se demande si un jour ils seront terminés. Biberonés à la BD, aux jeux vidéos et aux dessins animés ils ont aujourd’hui entre 30 et 45 ans, et Avengers, le gros film de ce mois de mai, est fait pour eux.

Les spectateurs rient et applaudissent devant les exploits et les gags des super héros du film de Josh Whedon (Buffy contre les vampires, Toy Story) et de Zak Penn (Last action hero, X-Men). De mémoire, la dernière fois qu’on avait vu un public non-privilégié aussi enthousiaste c’était pour la projection de l’Astérix de Chabat et Debbouze, une autre adaptation de BD de super-héros. A la décharge des auteurs, le long métrage qui prolonge trois autres séries de films, a toutes les qualités d’une bonne comédie d’action. Pour l’action, la recette est immuable depuis le slapstick : poursuites en voitures ou aériennes, échanges de tirs, explosions, acrobaties, échanges de coups, etc. Pour la comédie, les cartes n’étaient pas distribuées d’avance. Mais les scénaristes ont tout misé – au point de ne rien laisser au reste – sur l’antagonisme des héros : « assemblez » dit la bande-annonce. Ce premier machin, car ce n’est que le premier, raconte comment ces super-héros vont surmonter leurs super-égos et s’unir contre un ennemi commun. La différence, c’est justement le moteur de la comédie au cinéma au moins depuis Laurel et Hardy. Robert Downey Jr. (Richard III, Kiss Kiss Bang Bang, Chaplin…), Scarlett Johansson (Lost in Translation), Samuel Jackson (Pulp Fiction) sont rompus à cet exercice. Sans ces interprètes, il n’est pas sûr que le scénario anorexique puisse emporter le spectateur plus loin que son pitch.

En dehors du fait que ce énième film du genre super-héros n’est pas un navet en dépit d’un scénario mince, le plus intéressant reste la réaction du public dans la salle et en dehors. A la sortie de la projection, les spectateurs, souvent des individus d’une trentaine d’années et de sexe mâle, continuent de se raconter le film. « T’as vu quand Loki dit ça et que Hulk répond ça !?« . On dirait des enfants à la sortie d’un spectacle de marionnettes. Ouais mais, est-ce que t’as vu quand Loki, le Dieu asgardien, fuit à l’arrière d’un truck, c’est pas un peu ridicule ? Certes, mais les critiques pointaient déjà il y a dix ou vingt ans la médiocrité de cette « sous-culture » où on pouvait se permettre des raccourcis de scénario. Mais ça c’était avant.

Le Figaro, l’Express, Nouvel Obs, et Gamekult : même combat

Pour ces fans, l’année 2012 c’est le futur enfin advenu. Nous avons tous, dans une poche ou un sac, des ordinateurs portables capables de réaliser les merveilles ou les horreurs décrites dans les oeuvres de science-fiction du 20e siècle, du communicateur de Star Trek à la société fliquée de 1984. Pour les autres, les années 90 et 2000 ont été celles de l’abdication. Nous avons abandonné les modes de vie et de pensée analogiques du temps passé pour entrer dans le numérique.  Avec l’ordinateur personnel, le PC, le Mac, le mobile puis les tablettes, la culture marginale et cryptée des « nerds » – les premiers geeks asociaux et incolores comme l’étaient les premiers PC – est devenue la norme. Les gardiens de l’ancien temps ne pouvaient pas rester immobiles devant ce phénomène sous peine d’être ringardisés. C’est ainsi que le très conservateur quotidien français Le Figaro a consacré, en ligne, une quarantaine d’articles à la sortie d’Avengers dans ses pages Culture en association avec Ciné Live Studio. Et c’est du grand journalisme à en juger les titres : « 5 choses à savoir avant d’aller voir le film« , ou « Qui sont les héros du super-film de Marvel ? » en précisant : « par souci de clarté et de cohérence avec le projet de Marvel Studios, nous présentons les personnages dans l’ordre chronologique de leur apparition au cinéma« . Un mois auparavant, le quotidien n’hésite pas à annoncer avec force détails l’évènement majeur du mois d’avril : le « Marathon Marvel », une projection de 8h à minuit de la presque totalité des récents films de la « franchise » Marvel (propriété de Disney depuis 2009, premier concurrent de DC Comics qui détient les marques Superman et Batman). Là encore, Le Figaro fait figure de leader dans la critique cinématographique : « Quel meilleur moyen d’apprécier – en 3D et en VO – la réunion des super-héros par le Shield que de se remémorer leurs exploits passés ? Régalez-vous !« . Depuis quand date la dernière poussée d’enthousiasme du quotidien de Serge Dassault (le Tony Stark français) ? Aussi, il y a Le Nouvel Obs qui prévient sous la plume d’un blogeur-justicier : «  le film fait preuve d’une telle générosité qu’il redéfinit les codes du genre et annihile toute forme d’adaptations comics futures si elle ne prennent pas le parti de rendre justice aux personnages qu’elles exploitent« … Et L’Express de proposer « 10 choses à savoir avant d’aller voir Avengers » (soit 5 choses de plus que Le Figaro). Ces médias de l’ancien monde, en hébergeant la plume de journalistes amateurs et fans, s’ajustent à la ligne éditoriale d’un webzine, Gamekult. Celui-ci a un avis plus hardcore : « The Avengers m’a carrement éclaté la rétine et même les 2 rétines, au point que j’ai dût sortir du cinéma avec un chien d’aveugle !!« … Les exemples de cette abdication de l’establishment abondent, et cela dans tous les domaines de la culture institutionnelle. Nous l’avons déjà démontré dans une analyse précédente, le triomphe commercial et critique du film de super-héros est le symbole de la domination de la culture « geek ».

Dodo l’enfant « Do »

Mais à travers la sortie d’Avengers, nous pouvons affiner notre perception du phénomène jusqu’à lui donner une identité géographique. En France, l’un des premiers vecteurs de cette culture infantile et hystérique a été Le Club Dorothée. Cette émission désormais partie intégrante du patrimoine audiovisuel français avait engendré sur TF1, la petite soeur du Figaro, un public captif sur la tranche des 6-12 ans, un public chaud qui demande à être sollicité dans tous les sens du corps et de l’esprit. C’est sans doute ces mêmes enfants, avec quelques années de plus, qu’on voit à la Nuit des Publivores qui a lieu tous les ans au Grand Rex depuis 1981. Des « fils de pub », comme ils se nomment eux-mêmes, hurlent toute une nuit en gobant littéralement les échantillons de produits, barres chocolatées, gadgets, et autres prospectus qui leur sont distribués. C’est aussi au Grand Rex qu’a eu lieu le « Marathon Marvel », à peu près dans la même ambiance que la Nuit des Publivores ou qu’un enregistrement en public d’une émission de Dorothée. C’est la génération « Do », comme dans « Club Do » et « Mc Do » : culture et restauration rapides. Comme un cheesburger ou une sitcom des années 90, Avengers flatte les papilles en proposant au consommateur tous les goûts en même temps. Les bons goûts seulement, mais surtout pas l’amer qui est répulsif.

Chaque individu possède sa stratégie pour survivre psychiquement au réel. Par le sport, par le travail, l’alcool, la philatélie, la collection de figurines, la religion… Ici, cette fuite dans des fictions pour ados attardés, c’est à dire des enfants, s’accompagne d’un abandon du sens critique. Car qu’est donc Avengers dans le monde réel ? Avengers, c’est une grosse machine à sous dont un tiers du budget est consacré à la publicité, c’est un scénario dont on pardonne la faiblesse parce qu’il paraît que ce n’est que de la bande-dessinée. Avengers c’est un conte de fées pour jeunes adultes, des effets numériques si spectaculaires qu’ils en deviennent creux, des acteurs en-deça de leurs performances, et des thématiques si conformistes qu’elles plaisent au Figaro. Avengers c’est aussi la place de cinéma à 13 euros pour un film d’action artificielle sur fond vert, et c’est l’oeuvre considérée désormais maîtresse du créateur de Buffy et du scénariste de Toy Story. CQFD. Comme une resucée de Salut les (super)-Musclés au pire des cas, ou dans le meilleur, un vague remake de ces saynètes dingues dans lesquelles s’agitaient déjà en trois dimensions mais en noir et blanc et sans mots dire, Harold Lloyd ou Buster Keaton.


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