Tandis que la promotion de The Avengers bat son plein aujourd’hui avec la sortie d’une bande-annonce sans grand intérêt, le Prometheus de Riddley Scott lance un film viral discret et intelligent : une conférence TED en direct du futur proche.
TED c’est l’acronyme de Technologie, Entertainement, Design. Trois mots pour désigner un organisme à but non lucratif crée en 1996 par un ancien journaliste afin de « propager » les idées les plus innovantes par des conférences parlées et filmées. Le succès de TED, du à la qualité des intervenants, a été foudroyant ces dernières années puisque désormais, le concept se décline dans toutes les grandes villes, sur des sujets avec de fortes implications sociétales. TED c’est déjà demain. Et demain pour Ridley Scott, c’est forcément Weyland Industries. Cette multinationale fictive affrète le Nostromo dans Alien, elle fabrique aussi les androïdes à sang blanc, et tente depuis 30 ans et 4 films de s’approprier les gênes de la créature dite « xénomorphe » pour en faire des armes de destruction massive, des super-soldats ou des steaks bio à l’acide.
TED 2023, une conférence de Peter Weyland.
Guy Pearce, qu’on avait connu plus sympathique dans d’autres rôles, s’exprime avec une voix gutturale pour l’occasion, devant une foule qui boit ses paroles. Pour cause, le PDG de la Weyland leur promet quelque chose d’aussi radical que le « vol du feu », selon la légende. Rappel : le titan Prométhée, dérobe le secret du feu aux dieux de l’Olympe, pour le transmettre aux hommes. Pas content, Zeus le condamne à se faire ouvrir le ventre et dévorer le foie par un aigle* (ou un vautour selon une source proche de l’enquête) éternellement, chaque jour son foie se régénérant, le monsieur étant immortel. Ne disposant d’aucune preuve matérielle attestant la réalité de l’évènement, les hommes raisonnables l’ont classé dans la mythologie. Et cette mythologie traverse le temps et l’espace, faisant écho dans la culture de tous les peuples d’ascendance proto-indo-européenne, soit 80% de l’humanité actuelle. Contestée quoique lucide, une théorie stipule que le Lucifer de la Bible serait le reflet de la légende polythéiste, ce dernier apportant la connaissance (ou la lumière, ou le feu) et la conscience de soi aux humains. Ce qui lui vaudra aussi d’être banni de l’Olympe chrétien. Voilà comment nos cultures ultra-modernes expliquent la manière dont la technique et la science sont arrivées à l’humanité. Pour les préhistoriens, la domestication du feu survenue entre 1 million et 300 000 ans avant le forfait internet illimité, marque la fin du paléolithique inférieur et le début de tout.
Bande-annonce de Prophets Of Science-Fiction produit par Ridley Scott.
Ridley Scott croit en la science-fiction plus qu’en la religion. Il lui a dédié une série documentaire narrée par Morgan Freeman, les Prophètes de la Science-Fiction, où le lien entre les avancées scientifiques et les récits des écrivains du 19e et 20e siècle est établi avec force témoignages. Ces 3 minutes qu’on ne verra pas dans Prometheus font brillamment le lien entre le passé de l’humanité (le mythe prométhéen), la réalité (les vraies conférences TED), notre futur possible et sa propre mythologie à lui, la saga Alien qui elle aussi se promène d’époque en époque, de 1979 à 2300. Dans Blade Runner déjà, Scott nous montrait un futur aux mains de multinationales au sein desquelles les scientifiques ne sont que des vassaux, même pas spatiaux. Le franchissement des barrières éthiques devenant en réalité le sujet central de ses films (donner la vie à des êtres artificiels, vouloir contrôler et dominer la nature sont les deux principaux). Monsieur Weyland, de chez Weyland Industries est adepte du « risque humain acceptable », concept en vogue depuis le 20e siècle, même après les catastrophes de Bhopal et Tchernobyl.
« Le secret pour éteindre une allumette avec les doigts sans se faire mal, c’est d’ignorer la douleur » assène-t-il lors de sa conférence du futur. Il se prend pour l’égal des dieux antiques, soit l’inverse d’Oppenheimer. Ce physicien, classé dangereux gauchiste par la commission Mac Carthy dans les années 50, fut auparavant un des architectes de la sainte Trinity, la première bombe atomique fonctionnelle. L’explosion-test qui fut conduite le 16 juillet 1945 dans le désert du Névada, et la fin brutale des villes d’Hiroshima et Nagasaki lui inspira les plus grandes craintes. Se livrant à la télévision américaine quelques années plus tard, il déclara : « Nous sûmes que le monde ne serait plus le même. Certains ont ri, d’autres ont pleuré. La plupart sont restés muets. Je me suis rappelé ce vers hindou du Bhagavad-Gita ; Vishnu essaie de persuader le Prince** de le laisser faire son devoir, et pour l’impressionner prend sa forme guerrière et dit : ‘Maintenant je suis La Mort, le destructeur des mondes‘. Je suppose qu’on a tous pensé ça, d’une manière ou d’une autre« . Allez dire ça à Peter Weyland.
Julius Robert Oppenheimer dans The Decision To Drop The Bomb, NBC, 1965.
*La similitude avec la créature d’Alien est troublante puisque celle-ci dévore également l’abdomen de ses victimes mais de l’intérieur.
**Arjuna, monarque, héros « positif » de la cosmogonie hindouiste.
***Pour une étude complète de la citation d’Oppenheimer dans le contexte de la course à l’armement, en Anglais, ça se passe ici.