Taqwacore, prophétie islamo-punk autoréalisée
On 23 janvier 2012 by rachidouadahObligatoirement, ça sent la rage et la sueur dans cette cave à Chicago où les Kominas se produisent devant un public de punks basanés, de white-trashs et de femmes voilées. Le chanteur hurle avec une pointe d’accent pakistanais “Je suis un islamiste, je suis l’antéchrist” en référence à un titre fondateur de la culture punk. Un type en burqa agite un gode géant cerclé d’une couronne d’épines. Sous le tissu noir se cache l’écrivain Michael Muhammad Knight. En 1994, il découvre la bio de Malcom X en même temps qu’il fait la connaissance de son père, un irlandais raciste, alcoolique et violent. A 17 ans, il prend la direction du Pakistan où on lui enseigne un Islam rigoriste. Des années plus tard, c’est l’éveil, Michael Knight se révolte à nouveau mais cette fois contre l’orthodoxie et la bien-pensance musulmane. Il auto-édite son ressentiment en 2003 dans « The Taqwacores« , l’aventure d’une communauté de punks américano-pakistanais animés par leur foi (« taqwa ») et leur haine de la société et/ou d’eux-mêmes (« core » ?).
Cette fiction trash vaguement inspirée de son expérience – l’auteur prétend ne jamais avoir bu un verre de bière – est reçue comme un manifeste par quelques jeunes musulmans qui, selon la légende, s’échangent des copies du roman dans les mosquées. Certains, intimement possédés par le « taqwacore », ou persuadés de la réalité de la fiction, créent leurs formations musicales. En 2009, un réalisateur canadien fasciné par le roman, organise avec l’auteur une tournée pour les Kominas dans le but d’en tirer un film documentaire. Comme dans le livre, sur leur chemin, ils embarquent d’autres « freaks » tels les gens de Vote Hezbollah (auteurs du fameux « I want to fuck you during Ramadan »). Et comme dans le livre, ils s’arrêtent à l’ISNA, la convention des bigots musulmans nord-américains à Chicago. Ils envoient sur scène Sena Hussein du groupe Secret Trial Five. Malgré l’accueil enthousiaste du public les organisateurs les font expulser par la police. « Trouble de l’ordre public », et parce que « les cordes vocales féminines sont haram » (« pêché ») ironise la chanteuse androgyne du trio lesbien. Jusqu’à ce concert sur le toit d’un immeuble du quartier rouge de Lahore au Pakistan, les images et la scansion de Knight retranscrivent parfaitement le rythme intérieur de ces jeunes « fils de bonne famille » qui aspirent à vivre en dehors des sentiers battus.
Il est tentant de voir en eux le produit des années Bush-Ben Laden, comme une réaction au « choc des ignorances » de 2001 et à ses suites monstrueuses. Ce n’est peut-être pas une naissance qu’a filmé Majeed. Ca ressemble à l’adolescence d’une contestation. Cette fois l’objet de la révolte est l’Islam, cette culture-religion qui ne connaît pas de frontières ethniques et nationales, qui se plaît à noyer l’individu dans une « communauté de croyants » elle-même sous la coupe de dictateurs vieillissants. Superposer monothéisme et punk n’a rien d’exceptionnel. La dissidence en Islam non plus. La nouveauté c’est ce concert de voix discordantes – pas seulement dans la musique et les arts, qui réclament de moderniser, réformer voire abattre le dogme musulman. Mais Knight adresse un gros doigt à « ceux des deux bords », comme il dit, qui verraient en eux un quelconque espoir de monde meilleur. Ce qu’ils réclament avant tout : le droit à disposer d’eux-mêmes, et qu’on les fasse pas chier.
Taqwacore : The Birth of Punk Islam, documentaire d’Omar Rajeed, Etats-Unis, 2009.
«Les Taqwacores », roman de Michael Muhammad Knight, Hachette.
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