Samsara : le monde en temps réel
On 26 mars 2013 by rachidouadahDepuis 30 ans, Ron Fricke photographie le monde à la vitesse de l’invisible. Son dernier film muet, Samsara, laisse sans voix face à l’horrible beauté de la réalité.
En 1982, Ron Fricke est directeur de la photographie et monteur sur un projet de film d’un genre inédit. C’est Koyaanisqatsi, produit par Coppola et Lucas. Dans ce long-métrage qui n’a rien d’une fiction sans pourtant être un documentaire, Fricke expérimente à loisir la technique du time lapse qui a fait les grandes heures de Vimeo. En accélérant ou ralentissant les mouvements, il parvient à montrer la course folle du temps. Au centre de sa narration, il y a cette Humanité entraînée vers un destin inéluctable : sa destruction ou son immortalité. Dix ans plus tard, Fricke réalise Baraka, collection de belles images sur le thème de la spiritualité et son anti-thèse : la réalité terrestre. Enfin en 2011, après des années de tournage, Samsara voit le jour. Et il est dans la continuité de ses prédécesseurs : des images d’une beauté à couper le souffle, sans le moindre commentaire. Et l’horreur, la multitude de crimes que les « fils de l’Homme » commettent contre la nature et eux-mêmes. Ron Fricke parvient à dénoncer cela sans la misanthropie ni la condescendance dont nous ont gratifié Luc Besson, François-Henri Pinault et Yann Arthus-Bertrand avec leur Home (2009). Ron Fricke est cérémoniel, et traite son spectateur en prince. C’est pour cela qu’il nous introduit dans la contemplation par un trio de danseuses balinaise de Legong. Mais ça veut aussi dire que l’histoire qui va suivre est tragique. Parfois le voyage se transforme en documentaire animalier sur l’espèce humaine, mais tourné avec une très grande compassion.
Samsara c’est finalement le seul mot écrit dans cet opéra non-verbal. Il est issu d’un concept tibétain qu’on pourrait se contenter de traduire par « cycle » ou « flux ». On voit bien quelque chose circuler dans ces images, c’est le vivant, nous y compris. Fricke trimballe sa caméra 70 mm à travers 25 pays, parfois pour ne retenir que quelque secondes. Seule la Corée du Nord lui restera fermée. On retrouve les mêmes motifs visuels que dans Baraka et Koyaanisqatsi. En même temps qu’il met à jour sa photographie du visage du monde, Fricke se répète, évidemment. C’est bien la notion de cycle qu’il illustre. Parce que le « samsara » c’est aussi la répétition interminable des réincarnations imposées à l’âme tant que celle-ci ne se libère pas, selon la doctrine bouddhiste, de la souffrance, de l’attachement et de l’ignorance. Un concept encore très orienté extrême-orient mais pourquoi pas.
L’absence de commentaires laisse la place à la voix-off intérieure du spectateur qui peut aussi se laisser emporter par les images et l’émotion. Les musiques de Lisa Gerrard (Dead Can Dance) ou Geoffrey Oryema, ont tôt fait de susciter une immense mélancolie perturbée ici et là par des moments de mystère, qu’il soit celui de la création ou de son anti-thèse : la mort. Fricke utilise de la pellicule 70 mm (qu’il fait numériser ensuite) pour obtenir des images de qualité supérieure à la HD. Le choix du format n’est pas anodin. Le réalisateur voulait que son film survive à l’obsolescence programmée des technologies (la HD, l’Ultra HD, etc…). Samsara est donc un message dans une bouteille lancée dans l’océan du temps. Et puis le temps c’est avec la lumière l’autre matière première de Fricke. Il a construit patiemment son film, comme un mandala, et il sait qu’il peut être balayé de quelques gestes d’une main. Ce n’étaient rien que quelques pixels, 33 millions seulement. Au sortir de la projection de Samsara, le monde n’a pas changé mais le spectateur, peut-être un peu.
Samsara, un film de Ron Friecke et Mark Magidson, 2011. Tous pays. Sortie française le 27 mars 2013.
Le + vidéo
Yulunga de Dead Can Dance, monté à partir d’images de Baraka.
1 comment
Archives
- juillet 2021
- juin 2021
- mai 2021
- mars 2021
- février 2021
- décembre 2020
- novembre 2020
- octobre 2020
- septembre 2020
- août 2020
- juin 2020
- mai 2020
- avril 2020
- mars 2020
- février 2020
- janvier 2020
- décembre 2019
- novembre 2019
- octobre 2019
- septembre 2019
- août 2019
- juillet 2019
- juin 2019
- mai 2019
- avril 2019
- mars 2019
- février 2019
- janvier 2019
- décembre 2018
- novembre 2018
- octobre 2018
- septembre 2018
- août 2018
- juillet 2018
- juin 2018
- mai 2018
- avril 2018
- mars 2018
- février 2018
- janvier 2018
- décembre 2017
- novembre 2017
- octobre 2017
- septembre 2017
- août 2017
- juillet 2017
- juin 2017
- mai 2017
- avril 2017
- mars 2017
- janvier 2017
- décembre 2016
- novembre 2016
- octobre 2016
- septembre 2016
- août 2016
- juillet 2016
- juin 2016
- mai 2016
- avril 2016
- mars 2016
- février 2016
- janvier 2016
- décembre 2015
- octobre 2015
- septembre 2015
- juillet 2015
- mai 2015
- avril 2015
- mars 2015
- février 2015
- janvier 2015
- décembre 2014
- novembre 2014
- octobre 2014
- septembre 2014
- août 2014
- juillet 2014
- juin 2014
- mai 2014
- février 2014
- janvier 2014
- décembre 2013
- novembre 2013
- octobre 2013
- septembre 2013
- août 2013
- juillet 2013
- juin 2013
- avril 2013
- mars 2013
- février 2013
- janvier 2013
- novembre 2012
- octobre 2012
- septembre 2012
- août 2012
- juin 2012
- mai 2012
- avril 2012
- mars 2012
- février 2012
- janvier 2012
- janvier 2010
TOP !