Room 237 : les fous de Shining
On 15 mars 2013 by rachidouadahRoom 237 est un essai vidéo dont le but est d’éclairer sous un jour nouveau le Shining de Stanley Kubrick. Il y arrive plutôt maladroitement, jusqu’à en devenir inquiétant.
L’intention principale de Kubrick avec Shining était probablement de terroriser le public. Il y parvient depuis plus de trente ans, dans les salles obscures au début, à la télévision ensuite, sur VHS, en DVD accompagné de bonus (avec un précieux making-of réalisée par la fille de Kubrick), en mp4, en Blu Ray et en extraits sur le web. C’est dire combien de fois et combien d’yeux ont vu The Shining, une oeuvre qui peut se regarder jusqu’au vertige. Room 237 est une sorte de compilation de plusieurs théories répandues sur le web et qui tentent d’expliquer le sens caché de la fiction horrifique sortie en 1980. C’est peut-être parce que Room 237 se laisse aller aux défauts du web amateur justement, qu’il échoue à gagner sa crédibilité et la confiance du spectateur.
Ceci n’est pas un documentaire. Beaucoup trop subjectif. Room 237 est un essai en vidéo, tout comme le brillant Spielberg Face. Mais au contraire du court de Kevin B. Lee, celui-ci s’allonge dans un long argumentaire déstructuré où l’idée la plus lumineuse croise la plus délirante. Et c’est comme regarder la version commentée d’un DVD : on entend les voix des intervenants, enregistrées dans des conditions à chaque fois différentes, sans jamais voir leur visage. Des inconnus sans visages qui commentent un chef d’oeuvre du cinéma contemporain : au pire, des relents de complotisme, au mieux un parfum de mystère. Le mystère, on y pénètre et on explore ses facettes. Il faut y aller crescendo pour ne pas tomber de son fauteuil. Car tout y passe : Shining est une métaphore du génocide des natifs américains par les colons européens. Shining est une métaphore de l’Holocauste. Comme dit l’autre, ça passe. En effet, les références sont évidentes… une fois que les essayistes ont souligné leur subtilité.
Mais jusqu’où peut-on aller dans la dissection ou interprétation d’une oeuvre d’art. Celle-ci en particulier, sortie de deux cerveaux inhabituels : celui de Stephen King, auteur torturé à sa manière et amateur de la mise en abyme (au vu du nombre de ses livres mettant en scène un écrivain), et celui de Stanley Kubrick, génie visuel dont on évaluait le quotient intellectuel à 200. C’est une expérience intéressante, une passion dévorante, qu’il vaut mieux laisser à d’autres, aux auteurs de Room 237. The Shining est d’ailleurs déjà un combat entre l’esprit des deux artistes. Selon l’essai, la scène où la Coccinelle jaune de Jack Nicholson croise la même voiture en rouge mais accidentée, c’est une manière de plus pour le réalisateur de s’approprier le travail de l’écrivain (qui avait imaginé une voiture rouge). Un petit message personnel qui aide à expliquer la haine que voue King à la seule adaptation réussie d’un de ses livres. Plus en avant, les fous de Shining vont jusqu’à dessiner l’architecture supposée du décor et y découvrir des impossibilités. Pour eux, venant de l’esprit de Kubrick, ce ne peut pas être une erreur, mais une intention délibérée de brouiller les perceptions du spectateur. On reste pantois devant quelques secondes d’images qu’on croyait connaître par cœur, tellement la culture populaire les a immortalisés.
Cette passion finit donc consumer ceux qui la nourrissent. La chambre 237 c’est là que tout se passe pour l’auteur principal de l’essai vidéo du même nom. Dans un montage malin, il arrive à mélanger harmonieusement le climax de 2001 avec celui de Shining. Mais il ne s’arrête pas là. Quand on a dépassé le point Godwin, que reste-t-il ? Réhabiliter la théorie conspirationniste de l’Amérique sur la Lune filmée par Kubrick, à partir de jeux de mots et de numérologie. On peut aller plus loin encore ? Oui, comme cet intervenant qui dit voir le visage de Kubrick dans les nuages au début du générique. Plus loin encore ? Oui, en superposant les images du film joué à l’envers avec le même joué à l’endroit pour y trouver un sens caché, une tête de clown et la tête d’Hitler.
En cherchant la petite bête, mais aussi intentionnellement de par sa démarche fanatique, l’auteur oublie souvent ce qui est flagrant. « Pourquoi en faire un film si compliqué ? » se demande-t-il. Alors qu’il est lisible au premier degré. Et dès le second degré, comment ne pas reconnaître dans les fillettes à la robe bleue les jumelles de Diane Arbus. A moins que Kubrick ait voulu faire référence aux expériences de Josef Mengele à Auschwitz. Attendez une minute… Ici réside le pouvoir hypnotique de The Shining : poser une infinité de questions qui en amènent une infinité d’autres. Un labyrinthe pour l’esprit. Une des voix-off qui arrive à rire de ses propres découvertes conclut d’ailleurs sur un aveu : « C’est comme ouvrir les portes hermétiques d’une réalité cloisonnée. C’est aussi un moyen d’emprisonner quelqu’un comme moi, à la rechercher d’indices, qui les trouve, et se retrouve à son tour piégé dans cet hôtel. J’en rêve. Je suis comme Jack, beaucoup de travail peu de détente. (…) Ma vie en fait c’est The Shining ». Voilà qui rend encore plus inquiétant un film qui l’était déjà suffisamment.
Room 237 de Rodney Ascher, avec Bill Blakemore, Geoffrey Cocks, Juli Kearns. Etats-Unis, 2012.
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