Ghost In The Shell : lost in translation
On 4 avril 2017 by rachidouadahL’adaptation de l’animé de Mamoru Oshii ne manque pas de sentiments mais est dépourvue d’âme.
Le Ghost In The Shell de Masamune Shirow, l’originel manga dessiné, a 30 ans. Depuis 1991, on peut compter trois longs-métrages et deux séries issus de cet univers. L’ensemble de l’oeuvre est d’une complexité telle que seul l’animé de 1995 est resté dans les annales, accédant au statut de film-culte. C’est ce manga qui est ici décliné, abâtardi pour devenir un produit conforme aux canons hollywoodiens.
Dès le début, le scénario s’écarte du premier film en donnant une identité humaine à l’héroïne. Ses errements métaphysiques sont ensuite réduits à des interrogatoires, sa quête existentielle à une simple enquête sur un serial killer cybernétique. Le manga était certes un mille-feuilles philosophique, policier et politique. Mais de cette pâtisserie très (trop) subtile, les auteurs du films ont soustrait les ingrédients les plus fins et ont augmenté la proportion de sucre et de crème. La ville dans laquelle évoluent les personnages est saturée d’hologrammes, convoquant les architectures de New York, Tokyo et Hong Kong (théoriquement, l’action se déroule à Tokyo). Le film garde quelques plans clés qui le font hésiter entre hommage et trahison. Le sexisme adolescent et otaku du manga est toujours là : la combinaison d’invisibilité de Scarlett Johansson tient plutôt du burkini couleur chair que de la cape de Harry Potter. Elle lui colle à la peau et on voit tout, y compris l’asexualité de l’héroïne qui ne possède ni vulve, ni tétons, mais, comme sur l’affiche de 1995, une « grosse paire de nibards », ainsi que disent certains hommes élégants.
La fin hautement spéculative du dessin-animé est remplacée par une happy-end mièvre. La disparition de la musique de Kenji Kawai est le signe le plus voyant de cette corruption, d’un bug ou d’un hack généralisés. Avec elle disparaissent les longs moments contemplatifs, sans dialogues, qui étaient la signature cinématographique de Mamoru Oshii et la traduction audiovisuelle du questionnement identitaire de l’héroïne, la colonne vertébrale thématique de la « franchise » Ghost In The Shell. Voilà 30 ans que celle-ci explore le thème de l’humanité et de sa suite, le transhumanisme, cette idéologie actuelle qui prévoit et veut la migration du corps humain vers la machine dans un futur proche. Alors quand dans ce film de 2017, les protagonistes se font greffer des prothèses cybernétiques sans trop se poser de questions sur les conséquences, c’est nous qui nous posons des questions sur l’omniprésence de l’informatique dans notre quotidien. De nos jours, la technologie a changé nos vies et suscite des débats infinis. Dans ce Ghost In The Shell, elle suscite surtout des scènes d’action.
Pour finir, les personnages ont subi le phénomène du blanchiment ou « whitewashing ». Nous sommes donc en face d’un remake formaté pour un public occidental et mondialisé. L’héroïne est affublée d’un patronyme irlandais, « Mira Killan », et seul Takeshi Kitano (qui nous manque beaucoup au cinéma) s’exprime, pour une raison inconnue, dans sa langue d’origine. On pourrait pardonner ce lavage de cerveau et d’acteurs si seulement le film avait conservé son esprit originel, comme dit dans les termes de l’histoire, son « ghost ». Dans une scène qui dépasse les intentions des cinéastes, la comédienne vedette (formatée par ses rôles dans Avengers et Lucy) enterre quasiment le personnage qu’elle a essayé de jouer, le major Motoko Kusanagi. Qu’est-ce que l’âme ou le ghost qui habite cette enveloppe occidentalisé mais d’origine nippone ? Le film s’en fiche pas mal en vérité, en nous laissant un banal quoique bien intentionné blockbuster américain d’où a disparu également la prosodie particulière de la langue japonaise.
Ghost In The Shell. Réalisation : Rupert Sanders. Scénario : d’après Shirow Masamune, et Jamie Moss, William Wheeler, Ethan Kruger. Musique : Lorne Balfe, Clint Mansell. Photographie : Jess Hall. Interprétation : Scarlett Johansson, Pilou Asbæk, Takeshi Kitano, Juliette Binoche. Etats-Unis, 2017. Sortie française le 29 mars 2017.
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